Episode 19

L'insouciance de l'enfance. Cyprien en jouissait pleinement, fièrement campé sur son noble destrier. C'était le week-end et la petite famille profitait de cela pour rester longtemps au lit. Mais le petit garçon lui était debout depuis bien longtemps, répondant à l'appel désespérant de l'aventure.

- Allez Joly Jumper ! Au galop mon ami ! Nous avons affaire à méchant voleur !

Sa monture tanguait vigoureusement d'avant en arrière, lui permettant de brandir ses bras avec force et vivacité. Cyprien était un enfant réservé et calme, mais lorsqu'il entrait dans le monde de ses jeux, sa personnalité changeait. Il devenait plus expansif et plus expressif.

- Et voilà leur chef ! Vite Joly ! Il faut l'attraper avant qu'elle ne fasse de nouveau du mal.

Pointant du doigt la nouvelle venue, Cyprien s'exprimait avec hargne. Mais la petite Aurélianne, encore prise par le sommeil, le fixait avec aphasie puis haussa un sourcil, exaspérée, avant de continuer sa route vers la cuisine. Le petit garçon la regarda partir, un peu déçu que sa jumelle ne souhaite se joindre à lui dans son jeu.

Pendant ce temps, dans la chambre des plus petits, Eloi prenait soin d'Adam, qui réclamait avec force son biberon. L'adulte lui céda avec un sourire, avant que l'enfant n'enfourne la tétine dans sa bouche. Cela fit rire le père qui caressa avec amour la chevelure de son fils.

Adam n'était plus le petit dernier de la famille. Il était désormais un grand frère et resta le deuxième fils de la famille. Car Anaïs mit au monde une petite Alix qui respirait la santé et savait s'exprimer. Elle aussi avait faim et Eloi ne résista guère longtemps avant de lui donner sa pitance. La petite engloutit avec appétit son biberon matinal.

Mais Alix ne fut pas la seule à pointer le bout de son nez, car en sa compagnie, Apolline prit son souffle, laissant une Anaïs épuisée. Eloi repensait à cette nuit, où, après s'être disputé avec sa femme, cette dernière décida de donner vie à leurs filles, seule. Cela l'avait grandement affecté et lui avait donné matière a réfléchir.

Plus tard dans la journée, parents apprêtés, les jumelles recevaient leur soin et une dose d'affection. Eloi et Anaïs ne s'étaient pas réellement parlé depuis la nuit de leur naissance. Juste des mots cordiaux, nécessaire au bon fonctionnement de la maison et pour le bien être de leur six enfants.

"Oui... Six enfants... " Ne pouvait s'empêcher de penser Eloi. Tant d'années à ses côtés et presque jamais de dispute et il fallut que ce soir là, ils eurent des mots durs l'un pour l'autre. Et cela lui briser le cœur. Alors qu'Anaïs câlinait leur petite Apolline, Eloi l'écoutait avec amour et amertume chantonner une petite berceuse qu'elle avait pour habitude d'offrir à chacun de ses enfants.

Il lui fallait reconnaitre que sa femme était bien plus douée et plus attentionnée que lui avec les enfants. Son travail l'accaparait énormément, et ne lui laissait que peu de temps pour une vie de famille. Et pourtant il tenait absolument à être présent. C'était son rôle, ce qu'on attendait de lui et surtout son envie.

Alors l'homme prit son courage à deux mains et rangea sa rancune rongée par la peine et déposa son fardeau -ainsi que sa fille dans son berceau. Il s'approcha alors de sa femme, qui après un énième câlin, se retourna sans un mot vers son époux.

Anaïs était calme, mais Eloi pouvait lire au fond de ses yeux une petite flamme de colère et de déception danser dans ses pupilles. Cela ébrancha légèrement sa détermination, mais il se ressaisit comme il saisit les mains fines de son épouse. Anaïs se laissa faire, curieuse de voir où cela allait les mener. Elle n'aimait pas être en colère, surtout après Eloi. Mais elle n'approuvait pas du tout la méthode qu'il avait employé avec Aurélianne.

- Je n'aime pas ça.

- "Ca" quoi ? Demanda Anaïs.

- La situation... Avoua Eloi d'une petite voix, avant de baisser le regard vers le sol. Je n'aime pas nous savoir fâché. Ce n'est pas nous, Anaïs.

Et elle était d'accord avec lui. Eux, c'était amour et tendresse, et non colère et ressentiment. Ca, c'était avant. Avant que leur amour ne se dévoila à eux, avant leurs échanges, leurs caresses, leurs baisers. Mais ils fonctionnaient comme ça. Tout deux bien trop prévenants l'un envers l'autre, c'était à celui qui aimera plus sa moitié. Alors ils gardaient au plus profond d'eux leur déception, leur ressentiment pour un joue, finir par exploser. En repensant au passé, et leurs diverses disputes, Anaïs laissa un rire fluet s'échapper de ses lèvres.

- Qu'est ce qu'il y a de drôle ?

- Nous deux...

Cette réponse eut le don d'interroger Eloi qui la fixa longuement avec curiosité.

- Je repensais au passé, Eloi. Nous nous disputions énormément avant notre première véritable soirée. Cela la fit sourire de plus belle. Et depuis que nous sommes ensembles, les choses sont merveilleuses mais nous ne sommes pas assez honnête, l'un envers l'autre.

Eloi la prit contre elle, touché par ses propos. Anaïs acceptait leur petit différent, elle le savait nécessaire, mais ne souhaitait pour autant que cela ne se reproduise.

- Je t'aime ma Chérie. Ne doute jamais de cela. Tint-il à préciser.

Anaïs s'accrocha à lui, le serrant très fort contre son cœur, comme si Eloi allait disparaitre. Mais le roux ne disparut pas. Il était toujours là, contre elle, comme il le lui avait promis des années auparavant.

- Je serais si seule sans toi, Eloi. Seule et désemparée. Ne me quitte jamais, je t'en supplie.

Et sans un mot, son époux lui releva le menton et la regarda droit dans les yeux. Sa belle ne pleurait pas, mais ses yeux étaient humides. Elle resserra son emprise sur elle et tendrement, ils joignirent leurs lèvres pour un long baiser empli d'amour, de promesse et de bonheur.

Des disputes, ils en auraient encore et toujours. C'était le propre de l'homme, et plus on s'aimait, plus cela était fréquent. Mais chaque dispute menait à une réconciliation, et ces réconciliations étaient souvent douce et aimante.

Mais si l'amour coulait des jours heureux, les liens fraternels étaient bien souvent meurtris et foulés sur pied. Aurélianne était une vraie peste qui s'en prenait à tout le monde et Cyprien était sa cible préférée. Encore aujourd'hui, l'on pouvait entendre dans toute la maison, les cris de la petite qui perçaient les tympans de ses habitants.

- J'en ai marre de toi, Cyprien ! J'aurais dû naître toute seule ! T'es trop nul.

Alors le petit garçon, au bord des larmes se tût, baissant le regard vers le sol. Il n'avait rien fait de mal, juste simplement souhaiter jouer avec sa sœur. Mais Aurélianne ne le voyait pas ainsi et imposait sa loi. Alors, peiné, le petit avait trouvé refuge dans les bras de son père, alors qu'il discutait avec Anaïs. Exaspérée par le comportement de sa fille, la blonde prit les choses en mains.

- Aurélianne Ambrine Vauganne ! C'est assez !

- Mais Maman...

- Il n'y a pas de "mais" ! Aurélianne, tu te rends compte que tu fais du mal à ton frère ?!

La petite baissa la tête. Elle ne se trouvait pas méchante, mais réaliste. Elle avait bien le droit de dire ce qu'elle avait sur le cœur, non ? Pourquoi lui interdisait on de s'exprimer alors que les adultes, eux, le faisaient sans cesse.

- Crois-tu cela normal que Cyprien pleure tous les jours, et par ta faute ? Tu es sa sœur, bon sang ! Une famille, c'est fait pour se soutenir, s'aimer et s'aider. Et non pour se déchirer.

Mais les propos de sa mère étaient bien trop abstrait pour la petite fille qu'elle était. Elle écoutait, sans trop comprendre, la tirade blessante d'une mère blessée et en colère.

"Et moi alors ? " avait elle envie d'hurler. Elle était une petite fille incomprise. Elle n'avait jamais demandé à venir au monde dans une famille si nombreuse où les parents étaient si obnubilés par les plus jeunes, laissant les plus vieux seuls. Elle aurait souhaité être fille unique pour que l'on n se consacre qu'à elle. Elle seule était importante.

Mais elle se garda bien de le leur dire, car elle n'était pas stupide, loin de là. Les parents, c'étaient bien malléable et une seule méthode fonctionnait sur eux : la manipulation. Et Aurélianne était devenue une experte. Même sa maîtresse tombait dans le panneau. Un peu d'eau dans les yeux, une voix chevrotante et un air de chien battant, et on lui passait de la pommade dans le dos.

- Bon, bon. Je vois que tu regrettes, ma Princesse. Mais je t'en prie, ma chérie. Sois plus gentille avec ton frère. Il n'est pas comme toi, il est bien plus vulnérable.

La petite hocha la tête de haut en bas, signifiant sa compréhension, mais en son for intérieur, elle souriait machiavéliquement. Elle avait encore gagné et cela devenait de plus en plus simple.

Mais sa réjouissance fut de courte durée, car le soir même, un anniversaire se profiler et elle n'allait pas être au centre de l'attention. En effet, Aslinn fêtait son nouvel âge avec appréhension.

Alors que toute la famille s'égosiller avec joie, faisant sourire sans cesse la petite blonde, Aurélianne elle se gardait bien de sourire. Elle était la reine, elle ! Et non sa bécasse de grande sœur qui ne cessait de sourire comme une idiote devant son gâteau complétement moisi. Au moins, sa mère n'avait pas pris la peine de faire le gâteau elle même. Bras croisés, la petite fille regardait la scène avec pitié.

Aslinn n'était qu'une idiote naïve et totalement vulnérable. Le genre de fille qu'Aurélianne ne supportait pas. En plus, à l'école, elle était le souffre-douleur de chaque élève, surtout depuis qu'Abigaïl -leur cousine- avait changé de classe. Mais Aurélianne ne se sentait pas concernée par le sort de sa sœur. Si elle subissait tout cela, c'était de sa faute. Ni plus, ni moins.

Mais, à contrecœur, elle reconnaissait que la vie de son aînée n'était pas enviable. Elle ne souhaitait nullement lui ressembler, pourtant en la voyant évoluer, Aurélianne sentit une pique de jalousie grandir dans son cœur d'enfant. Elle qui avait hérité de cette couleur particulière, elle aurait aimé être différente. Être comme tout le monde et les cheveux blonds de sa sœur étaient d'une telle banalité !

Eloi, lui était fière de sa première merveille. Loin des pensées sinistres d'Aurélianne, le papa qu'il était retenait avec difficulté son sourire et ses larmes. Anaïs se moqua de lui, suivit d'Aslinn, qui avec l'âge avait pris une certaine confiance en elle même.

Réuni autour de la table, savourant le gâteau, la famille profitait de ce moment. Il était si rare de les voir ensemble, ainsi assis. Même si Aurélianne ne pipait mot, Eloi tentait de dérider l'ambiance. Mais la conversation tourna court rapidement.

- Pourquoi tu tiens tant à changer de chambre, Aslinn ?

"Parce qu'Aurélianne est une peste ?" pensa la toute récente adolescente. Mais elle pourrait jamais dire cela à son père. Cela ne peinerait trop. Surtout que l'homme adorait sa petite princesse, alors qu'elle, elle n'était que la grenouille de la famille. Aslinn se demandait encore pourquoi un tel surnom. Pourquoi un animal si répugnant alors que sa petite sœur était comparée à une princesse ? La blonde laissa en suspend cette question bien trop de fois posée.

- Papa ! Une adolescente a besoin de son intimité.

- C'est vrai mon chéri. acquiesça son épouse. Et puis ce n'est pas comme si on en avait pas les moyens. Avec tes récentes primes et une partie de mon héritage, on peut facilement redécorer la chambres de mes parents.

Aslinn tourna rapidement le regard sur sa mère, tout Eloi. Anaïs venait de dire cela, comme ça. Sans sourciller, sans aucune once de tristesse. Pourtant la jeune femme n'avait pas encore fait le deuil de ses parents. Mais le sourire sur les lèvres d'Anaïs disaient à sa famille que tout allait bien. Qu'il était temps de tourner la page.