Episode 19

Le soleil était déjà son zénith lorsque cela arriva. Je ne sais pas pourquoi maintenant, mais il fallait désamorcer cette bombe que j’avais créée moi-même, il y a bien des années. Et puis, je lui avais promis que je lui dirais la vérité. Rien que la vérité… Il était plus que temps.

J’avais longuement attendu que Wyatt sorte de la salle de bain. Je faisais le pied de grue depuis plus d’un quart d’heure. C’est fou ce que le temps semble long lorsque nous sommes stressés, anxieux…

Alors pour calmer mes nerfs j’observais les portraits de la famille. Ils étaient depuis des années, comme des gardiens. Plein de poussière. Ma main frôla les portraits de Neeve. Lui, plus qu’un autre dégageait cette aura protectrice, même de son vivant.

- Qu’est-ce que tu fais ?

Mince ! Il m’avait surprise à contempler cette photo du mariage d’Audaline. Il n’avait jamais posé de question par rapport à ces photos. Ça m’avait toujours étonné, d’ailleurs, mais bien trop lâche pour lui demander. Je me suis alors installée sur le meuble et je l’ai regardé. Oui, j’ai fixé cet homme qui était mon mari, amant et père de mes trois enfants.

L’âge adulte nous avait vite rattrapés, et la maturité s’était renforcée. Mais lui, il ne semblait nullement touché par le temps et ses ravages, comparé à moi… Etait-ce ainsi que traité la nature ? Nous offrons notre corps pour mettre au monde, et elle nous détruisait plus rapidement que les hommes ?

J’étais restée un long moment à le fixer, sans bouger, sans un mot. Et comme toujours, il me supporta en silence. Cet homme était parfait… Bien trop parfait pour une femme comme moi et pourtant il m’avait juré fidélité et amour éternel. Parfois, je me demandais ce que je serais devenue s’il n’avait pas croisé mon chemin ?

- Léonie ?

Ah ?  Aujourd’hui, ce fut lui qui brisa le silence. Mon mutisme devait le déranger, voire l’inquiéter. J’ai alors soupiré tout en me penchant en avant. Je devais avoir l’air bien sérieuse car il arqua un sourcil. Ce fameux sourcil arqué qu’il empruntait à chaque discussion sérieuse que nous entretenions et qui promettait des éclairs.

- Je crois qu’il est temps, Wyatt.

Je me décidai enfin à lui répondre. Oui, je tenais à garder une part de mystère, alors sans trop attendre, je me suis levai et je sortis de la maison d’un pas décidé. Je n’ai guère pris la peine de voir s’il me suivait. Je savais qu’il le ferait, trop intrigué par mon comportement. Oh ! Je n’étais pas fière d’agir ainsi, mais… Je voyais un peu de mystère pimenter ce moment solennel.

A mi-chemin du cimetière familiale, je pus voir sur son visage blême qu’il commençait à comprendre où je voulais en venir. Oui, il était temps qu’il fasse connaissance avec Neeve. J’avais depuis trop longtemps laissé ce secret me dévorer. Il me tuait comme il tuait ma relation avec mes filles. J’avais surpris Aveline au téléphone avec son oncle, et lorsqu’il lui parla de notre frère, je compris alors mes erreurs et mon entêtement. Je m’étais alors radouci, mais mes craintes étaient toujours ancrées au fond de moi. Et seul Wyatt était capable de les annihiler. J’en étais persuadée.

Je m’arrêtai près de sa tombe, le visage triste, avec un pâle sourire. Wyatt s’agenouilla près de moi et regarda tour à tour la tombe et moi. Il était plein de doute, plein de question. Mais je connaissais mon Wyatt pour savoir qu’il attendrait que je fusse totalement prête pour parler.

Je pris mon souffle. J’avais besoin de me relaxer un peu avant de me lancer. Car, même si la révélation était grande et importante, je lui avais caché ce secret depuis des années. Qui pourrait pardonner un tel silence ?

Une nouvelle respiration puis je fixai la sépulture de mon frère.

- Tu te souviens de ma promesse ?

Silence. Pas étonnant… Il attendait, comme toujours, maître de ses sentiments.

- Je t’avais demandé d’attendre. C’était il y a si longtemps, maintenant. Nos enfants sont nés et ont bien grandis depuis… Je suis désolée…

Et voilà… Tout ce que je ne désirai pas. Ma gorge se serrait et les sanglots étaient naissants. Mais il fallait que je continue. Que je brave cette fuite incessante qui me bouffait la vie depuis toujours.

Il dû sentir ma détresse, car sa main chaleureuse me releva le menton. Mes yeux se noyèrent dans les siens et se brouillèrent légèrement. J’arrivai enfin à pleurer. Je ne pouvais plus reculer. J’étais dans la barque et le passeur avait pris mon sous. A part me jeter à l’eau pour me noyer, je n’avais nulle échappatoire.

- Et si tu me racontais tout depuis le début ?

Sa voix n’était empreinte de rancœur, mais au contraire, pleine de douceur – de cette douceur qui lui correspondait si bien- et de bienveillance. Mes larmes tenaces s’écoulèrent encore plus. Cela le fit tristement sourire et il en essuya certaine de sa main libre.

- Le début ? Répétais-je.

Si cela était si simple… Ô Comme j’aimerais pouvoir retourner en arrière et n’avoir jamais dit ses mots.

- Oui, le début. Cette tombe… Elle est importante non ?

- C’est celle de mon frère.

Ma voix était ténue, quasi-inexistante. Un murmure brisé, comme la vie de mon frère désormais. Mes lèvres tremblantes étaient un signe de ma détresse, qui fit que Wyatt m’enlaça.

Cette étreinte était si rassurante, si chaleureuse. Elle était différente lors de nos ébats, elle était encourageante. Je me sentais petite fille au creux de ses bras si forts. Même son odeur me rassurait. Il me baisa le crâne et m’écouta longuement m’épancher.

- Neeve était l’aîné de la fratrie. Mon frère nous a quittés alors que j’étais à peine adolescente. J’ai arraché ses derniers instants à ma mère pour une simple leçon de conduite. Je suis une mauvaise fille qui a brisé une famille. Une mère et un père… Ma famille toute entière !

 

Mes sanglots étaient torrentiels, comme les larmes qui s’échappaient de mes yeux. Inépuisable et sans saveur. Elles étaient là, comme pour laver mon cœur et mon visage de toute ma peine. De toute cette peine accumulée depuis tant d’années. Depuis combien de temps déjà ? Je ne savais pas… J’ai depuis bien longtemps arrêté de compter.

Tout était dit. Il ne me restait plus rien, si ce n’était un avenir et une famille construire sur des années de misère et de silence. Mais l’abcès était crevé. J’étais libéré et vivante…

Un soir, peu après cette grande révélation, Wyatt était pensif. Il rentrait du travail, la tête lourde et chargé de peine. Sa femme avait vécu bien des choses qu’il ne soupçonnait guère et lui avait était stupidement jaloux toutes ces nuits durant à chaque fois qu’elle prononçait le prénom de Neeve. Il se sentait bien stupide désormais. Avoir été jaloux du frère de Léonie… Maintenant, il pouvait en rire.

Il descendit de sa voiture et la verrouilla. Alors qu’il s’approchait de l’entrée, il aperçut Aveline dans le jardin, désherbant cette végétation récalcitrante et survivante.

- Bonsoir Papa. Dit-elle d’une voix douce.

- Bonsoir ma puce. Qu’est-ce que tu fais ?

- Je tente de sauver ce plan de tomate.

- Tu crois pouvoir y arriver ? Demanda son père en se mettant à sa hauteur.

Elle lui confirma en hochant de la tête. Aveline était secrète et discrète. D’une certaine façon elle avait pris de chacun de ses parents. Mais son bon sens et sa façon de s’effacer était de lui. Il regrettait qu’elle ne soit pas plus expansive comme sa sœur. Il sourit alors, se saisit de l’arrosoir et l’aida dans sa tâche. Aveline le gratifia d’un sourire et le silence retomba. Mais ce silence était apaisant.

Dans la maison, une toute autre atmosphère régnait. Studieuse, certes, mais querelleuse également. Aldrick n’arrêtait pas de chantonner tout en recopiant son texte. Ce qui énervait profondément son aînée qui ne pouvait s’empêcher de pester à chaque bruit qu’il émettait.

- T’as pas bientôt fini de faire l’Âne ?

- Et toi alors ? Tu fais pas ton  Shrek peut être ? Rétorqua Aldrick.

La blonde tiqua et d’un doigté expert, elle lui envoya un bout de gomme en plein milieu du front. Le garçon hurla et pesta à son tour. Mais Adélaïde avait gagné. Il ne chantait plus mais à mieux y réfléchir, l’entendre crier et se plaindre était pire encore que les meumemant qu’il poussait…

- Mais t’as pas bientôt fini de chouiner oui ?! Pesta Adélaïde. T’es vraiment chi*nt quand tu t’y mets ! Pas moyen de se concentrer !

- Mais c’est ta faute aussi ! Pleurnichait le petit Loup. Tu m’as fait mal…

- C’était le but. Maintenant, tu te tais ou je recommence !

- T’es vraiment méchante ! Hurla Aldrick

Léonie arriva à ce moment-là avec le dîner. Elle trouva son fils en train de pleurer et sa fille regarder vers le ciel. On avait facilement des mots plus hauts que d’autre à ces âges là, mais une tierce personne intervenait toujours avec sagesse.

- Vous avez fini ?! On vous entend jusque chez les voisins ! Dit Léonie d’un ton ferme.

- Mais Maman… Entama Adélaïde.

- Pas de mais ! Je ne veux pas savoir qui a commencé ! Adélaïde, tu es plus grande, tu devrais savoir vivre avec les autres. Aldrick, tu dois comprendre que le bruit peut déranger certaines personnes !

Adélaïde soupira et Aldrick leva les yeux au ciel. La discussion était close. Certes leur mère était devenue plus coulante, mais elle détestait les conflits et elle mettait un point d’honneur à les régler de façon équitable : Elle avait toujours raison, et eux tort.

 

Episode 20

L’été était enfin arrivé ! Pour le plus grand bonheur des enfants. Adieux les affreux pulls qui grattent et bonjour les décolletés et les shorts ! L’été était enfin arrivé ! Et avec lui, le départ en vacances de notre couple. Après cette grande révélation, Wyatt proposa à Léonie un séjour rien que tout le deux. Elle avait longuement hésité, mais ses enfants la poussèrent à aller se faire plaisir. Certains par amour d’autre par profit.

- Dis Adélaïde… Elle est où Aveline ?

La blonde était mal à l’aise et ne cessait de regarder derrière elle. Sa sœur n’était pas dans le bus. En un sens c’était prévu, mais sa jumelle n’appréciait guère son nouveau comportement. Elle sentit une main tirer sur son maillot. Aldrick attendait toujours sa réponse.

- Elle … Elle m’a dit qu’elle y aller à pied. Mentit tant bien que mal la blonde.

- Mais elle va être en retard ?

- C’est son problème.

C’était vrai, quoi ?! Pourquoi elle s’inquiéter pour elle et mentir pour la couvrir. Si elle était si mature que ça, elle devrait assumer ses actes.

Mais où se trouvait Aveline ? Et bien, elle avait récupérer les clés de son cousin Fabien et profitait de la piscine de la maison. Depuis quelques jours, Aveline bravait l’autorité, et séchait, à l’occasion l’école. Elle aimait bien, errer sans but. Elle avait même pris l’habitude de profiter de la demeure de son oncle, car elle était sûre de ne trouver personne dans la journée. A quoi cela pouvait servir de sécher si c’était pour rester cloîtrer chez soi ?

Rester chez elle… En fait, elle en mourrait d’envie. Mais sa mère était là, tous les jours, tout le temps. Elle ne laissait aucun répit à ses enfants. Aveline avait besoin de liberté. Qu’on lui lâche la bride, d’indépendance.

Mais elle était encore trop jeune pour prendre son envol. Ses envies ne resteraient que de simples envies tant qu’elle serait adolescente. Alors, pour le moment, elle se contentait de rêver et de profiter de ses doux instants de bonheur et solitaire.

Mais il y avait bien des façons d’être libre et de braver l’autorité. Et comme on le dit si facilement : Lorsque les chats dorment, les souris dansent…

Fabien arriva chez ses cousines avec un léger retard. Il put remarquer dans la cour une camarade de classe qui prenait ses aises en réparant la voiture de sa tante. Il y avait parfois de drôle d’oiseau dans cette ville…

Arrivée à la porte d’entrée, il put croiser une de ses cousines et son cousin Maverick en pleine salutation. Ils le remarquèrent enfin et réitèrent leur geste. Fabien sourit légèrement, un peu gêné et rentra dans la maison. Il chercha son autre cousin du regard parmi les quelques adolescents présents. Adélaïde était assez populaire à l’école et cette fête était une espèce de secret. Elle souhaiter braver sa mère et son autorité limite despotique, mais tout en discrétion. Cela amusait le jeune homme car en réalité, Adélaïde avait peur des retombées.

Un peu plus tard, la fête battait son plein. Le petit Aldrick n’était pas de la partie et subissait la musique et les éclats de voix des zouaves qui constituaient les convives de ses aînées. Aveline le remarqua, elle dansait seule, comme toujours. Dans la bande, à part ses cousins, elle ne connaissait personne.

- Tu t’en sors ?

- Quoi ? Hurla l’enfant.

- Tes devoirs ! Précisa la brune.

Il lui fit un signe de main, lui indiquant que tout allait bien. En fait, tout allait mal. Il n’arrivait pas à se concentrer. Il souffla et referma son cahier avant de disparaitre dans sa chambre en soupirant.

L’on sonna à la porte. Trop occupé à s’amuser, personne ne fit attention. Aveline se dévoua alors pour ouvrir. Elle tomba nez à nez avec le livreur de pizza. De prime abord, elle le fixa sans trop comprendre. Il désigna la boite qu’il tenait mais elle ne semblait pas au courant. Ce fut à cet instant qu’Adélaïde arriva, billets en main.

- Merci Monsieur !

- Merci à vous ma p’tite dame ! Dit l’homme avant de disparaitre.

- Tu viens Aveline ? Dit sa sœur en rentrant les mains dans les poches. Hé les gars !? Vous avez faim ? La pizza est là !

Le troupeau d’adolescent sur-affamé se précipita vers la salle à manger, attendant la pitance.

- Franchement ! Vous exagérez ! Ma sœur est pas si bizarre… Se lamenta Adélaïde.

- Carrément que si ! Insista une des blondes. Elle parle à personne.

- Elle est toujours toute seule.

- Ouais on a l’impression qu’elle serait capable de nous jeter des sorts !

- Mais vous êtes pas possible les filles ! Râla Adélaïde. Et toi, tu pourrais soutenir ! Dit-elle à l’attention de Maverick.

- C’est pas parce qu’on est cousin que je suis obligé d’être dans son camp.

Mais Aveline n’était pas loin. La cuisine était ouverte et le volume de la musique bien moins forte qu’au début. La brune avait tout entendu, et se fut le cœur lourd qu’elle arriva devant Fabien pour lui donner sa part.

- Ça va ? S’enquit ce dernier.

- Hum ?

- Ne les écoute pas. Elles sont aussi stupides que blonde.

- Tu es blond aussi. Dit simplement Aveline.

- Ouais mais moi je sais ce que c’est le respect.

Aveline lui fit un léger sourire.

- Tu devrais sourire plus souvent à l’école, tu sais ?

- Pourquoi faire ?

- Le sourire te va bien, c’est tout.

Fabien se gratta légèrement la joue, un peu gêné, puis prit la part qu’elle lui tendait et rejoignit les autres laissant seule Aveline qui n’avait pas tout à fait saisi le sens de son discours.

A peine fut il assit, que le téléphone d’Adélaïde sonna. Elle décrocha en demandant à ses amis de ne plus faire de bruit.

- Allô ?

- Adé ? C’est Roxanne ! J’étais dehors et j’ai entendu une sirène de police ! Je crois que tes voisins…

- Et M*rde ! Merci Roxane ! Je raccroche.

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Elle s’agitât dans tous les sens, réclamant l’attention de tous.

- Ecoutez ! C’est grave ! Les flics arrivent ! Roxanne vient de les voir au carrefour !

- Arrête ?!

- Tu rigoles ! Plaisanta les blondes.

- J’ai l’air de plaisanter ?!! Partez vite et sans un bruit !

Le troupeau s’affaira rapidement, se poussant et paniquant. Les derniers à partir furent ses cousins qui lui baisèrent la joue avant de disparaître, un pack de bière sous le bras. Adélaïde se prit la tête dans la main et souffla avant de t’éteindre toutes les lumières. Aveline l’aida puis elles ne firent plus un bruit.

La voiture s’arrêta devant la maison quelques instants plus tard. L’officier à son bord ouvrit la portière et en descendit, l’air faussement autoritaire, prêt à en découvre contre quelques voyous mal intentionnés.

Mais il ne fit face qu’à une simple maison ensommeillée et extrêmement calme.

- Et encore une plainte dans le vent… j’en ai marre des vieux qui croient entendre des bruits…

Tout en protestant, l’officier remonta dans son véhicule, éteignit les gyrophares puis disparut dans la nuit, laissant derrière lui une épaisse fumée.

Au petit matin, Aldrick était déjà frais et disponible. Il était même douché et habillé. Il n’avait plus qu’à attendre le bus scolaire. Et afin de combler son ennui, le petit s’accordait une dernière virée imaginaire à bord d’un splendide bolide dépassant toutes les imaginations.

Adélaïde arriva dans le salon, le pas lourd et le teint bien pâle. Elle avait du mal à se remettre de la soirée d’hier. Même si celle-ci fut avortée, à cause de la police, elle avait bien bu et était comme qui dirait en pleine digestion de gu*ule de bois. En entendant son frère imiter le crissement des pneus sur l’asphalte, elle ferma les yeux et serra les dents. Non, plus jamais elle ne boira ! Plus jamais.

- Aldrick, s’il te plait… Moins fort…

- Ben pourquoi ? Je joue !

- Ma tête… Je t’en supplie…

- Fallait pas faire la fête et dormir. Quand Papa et Maman le sauront…

- Tu leur en parle, je te pourri la vie, à vie ! T’entends ? Le menaça-t-elle.

Mais le petit s’en fichait. Il haussa les épaules, comme si ses menaces étaient réelles et intimidantes.

Encore une fois, Aveline n’alla pas à l’école. Elle n’y trouvait aucun intérêt. Elle préférait largement déambuler dans la ville et faire des découvertes de toutes sortes. Alors qu’elle était au parc, elle décida de s’offrir un sorbet. Elle avait marché toute la journée et n’avait rien avalé depuis la veille. Elle n’avait pas réellement faim, mais plutôt soif et c’était gratuit. La gratuité était toujours la meilleure option lorsqu’on avait aucun sous en poche.

Elle remarqua, cependant, un homme qui ne cessait de la fixer depuis son entrée dans le parc. Elle n’osa le regarder franchement, de peur d’attirer son attention et ses potentielles foudres. Mais son visage ne lui était pas inconnu.

Elle haussa légèrement les épaules et se contenta de savourer son sorbet avant qu’il ne fonde. Après tout, elle venait régulièrement ici et la ville était à tout le monde.

Alors qu’elle engloutissait son cône de glace pillée, elle ne put s’empêcher de réfléchir. Elle agissait étrangement depuis quelque temps. Même elle, s’en rendait compte. Mais cette soif de liberté n’était jamais satisfaite. Elle n’aimait pas la contrainte de l’école, des devoirs. Le joug parental et l’attitude de despote de sa mère.

Elle regarda de nouveau dans la direction de l’homme. Il était toujours là à l’observer.

Elle fit le tour du parc, se dissimulant derrière machine et arbre, faisant en sorte de se fondre dans la masse. Elle attendit un moment avant de se dévoiler et de lancer une bombe d’eau en pleine figure de cet inconnu. La poche de plastique explosa en pleine face de l’inconnu qui hurla de surprise.

Aveline resta un moment, statufiée de peur et impressionnée par son propre geste. L’homme se plaignait d’être trempé. Il regarda à nouveau la demoiselle, et son regard s’était gorgé de rage. L’adolescente sentit qu’il était le moment de filer. Elle prit donc ses jambes à son cou et détala rapidement du parc. Elle pouvait sentir son cœur battre à tout rompre, fouettant son sang comme jamais. Elle pouvait deviner l’homme derrière elle. Ses pas résonnaient dans les rues de la ville.

Elle courut, courut encore, comme si sa vie en dépendait. Elle n’aura jamais couru ainsi. A force, elle ne fit plus attention si l’homme la suivait, elle courait toujours. Hors d’haleine, elle arriva enfin chez elle. Frénétiquement, elle ferma le verrou derrière elle. Puis prise d’un fou rire, elle se laissa couler le long de la porte. Elle avait eu peur, ce fut si grisant et à la fois terrifiant.

Elle se souvint alors que son frère fêtait son anniversaire lorsqu’elle le vit apparaitre devant elle, intrigué. Elle se calma et lui fit signe qu’il était l’heure.

Aldrick devint un bel adolescent ressemblant de plus en plus à son père.

- Bon anniversaire mon grand ! S’exclama Aveline en le prenant dans ses bras.

- Merci ‘line.

- Alors qu’est-ce que ça te fais ?

- Rien… Je me suis… juste bien.

Cette réponse fit naître un sourire sur les lèvres de la brune. Elle avait ressenti la même chose à cette époque.

- Mais pourquoi t’es en nage ?

- Je suis rentrée en courant.

- Et depuis quand rentrer en courant te met dans cet état ?

Elle regarda ses mains. Elles tremblaient. Cela la fit rire à nouveau. L’adrénaline ne quitterait surement pas facilement. Elle insista sur le fait que tout allait bien et qu’ils devraient plutôt aller se coucher. Aldrick abdiqua et rejoignit sa chambre d’enfant.

Aveline le regarda disparaitre. Une fois la porte refermée, elle se laissa tomber sur le sol et pleurer. Elle était perdue…

Plus tard dans la soirée, à l’autre bout de la ville, une voiture vrombissait joyeusement. Son allure était ni trop lente, ni trop rapide. Le conducteur était heureux de retrouver son foyer. A ses côtés, sa compagne reposait, en ronflant légèrement. Cela le fit sourire. Il passa une vitesse et traversa le pont.

Arrivés dans le centre-ville, le conducteur secoua légèrement sa femme afin qu’elle se réveille. La pauvre émergea difficilement.

- On est arrivé ? Demanda-t-elle, la voix un peu cassée.

- Bientôt, encore deux rues.

- J’ai si hâte de revoir les enfants…

- Allons ! Tu n’es pas contente de tes vacances ?

- Bien sûr que si ! Lui répondit-elle avec une petite tape sur le bras. Mais les enfants m’ont manqué.

L’homme lui sourit. A lui aussi, la maison et ses habitants lui avaient manqué. Surtout qu’ils rentraient tard et qu’ils venaient de louper l’anniversaire du petit dernier.

Le couple avait retiré leur manteau et contemplait la maison comme s’il la découvrait pour la première fois. Léonie inspira profondément, comme pour s’imprégner des odeurs si familières.

Ils étaient enfin chez eux.

- C’est drôle… On a quitté la maison pendant trois jours et ça me semble être une éternité. Fit remarquer la blonde.

- C’est vrai… Comme quoi, on n’est bien que chez soi. Ajouta Wyatt en lui prenant les mains.

Elle le prit dans ses bras et le regarda avec amour. Wyatt était épuisé, et sembler s’endormir sur place. Elle lui embrassa le front.

- Va te coucher, mon amour.

- Mais les valises ?

- On s’en occupera demain. Tu tombes de fatigue. Je me charge d’inspecter la maison !

- Fidèle à toi-même, hein ? Remarqua Wyatt en baillant.

Elle lui sourit et ils échangèrent un dernier baiser. Wyatt rejoignit sa chambre sans demander son reste, laissant sa femme seule dans l’entrée.

Elle balaya du regard l’ensemble de la pièce. Tout semblait en place, rien ne manquait, rien n’était cassé. Cela la rassura, elle pouvait faire confiance à ses enfants, de temps à autre. Elle sourit et se dirigea vers la chambre d’Aldrick.

Elle frappa légèrement la porte et attendit une réponse. L’absence de lumière confirma ses doutes : son fils dormait. Elle ouvrit doucement la porte et entra sans un bruit dans la pièce. Elle s’approcha du lit et put voir son amour d’enfant reposant paisiblement dans son lit. Cela lui arracha un sourire. Elle s’assit sur le rebord du lit.

Aldrick était devenu un tout jeune homme. Aussi magnifique que son père. Léonie se sentit toute retournée. La gorge nouée et le ventre en feu, elle pouvait sentir les larmes de fierté qui naissaient dans ses yeux.

- Bon anniversaire mon petit loup.

Elle déposa un baiser salé sur la joue de son enfant. Elle avait loupé son anniversaire mais elle comptait le noyer d’amour sans jamais s’arrêter.

 

 Episode 21

Il fut décidé que les enfants sortaient ce week-end. Seuls, comme des grands, afin de fêter l’anniversaire du petit dernier. Le trio d’adolescent s’engouffra alors dans un taxi et prit la direction du parc près de la plage.

Dans ce parc, ils purent rencontrer Othilie –qui avait bien vieillie- et ses deux jumelles. Ils n’eurent guère le temps d’échanger car toutes les trois étaient très sérieusement prises dans le concours du plus gros mangeur.

Adélaïde resta sérieuse, et profita malgré le travail pour l’école du soleil, en bouquinant avec aisance sur l’un des bancs du parc.

Les deux autres profitaient de l’été autrement : en patinant.

- Fais attention, Aldrick ! Si tu rentres avec une jambe dans le plâtre. Maman nous tueras.

- Je sais ce que je fais. Proteste-t-il, en tentant de conserver son équilibre.

- T’es le chouchou de Maman !

- J’y peux rien ! M’man veut pas me lâcher la grappe !

- Plaint toi, je vais pleurer.

- Aveline, t’es vachement amère depuis quelques temps, qu’est ce t’as ?

- C’est pas tes affaires ! S’emporta la brune, manquant de tomber.

Son frère soupira et l’aida à se relever. Fière, elle n’accepta pas son aide et quitta la piste. Aldrick la suivit, inquiet, lorsque son téléphone vibra. Il reçut un message.

- Qui c’est ?

- Notre génitrice… Soupira-t-il. Elle nous rejoint.

Les deux adolescents soupirèrent. Léonie allait les rejoindre, adieu leur tranquillité.

La famille alla à la plage adjacente. Les deux adolescents blonds se déshabillèrent en vitesse et filèrent droit dans l’eau. Aveline voulut les rejoindre, mais Léonie l’interpella.

- Quoi ? S’impatienta la brune.

- Oh ! Tu me parles autrement, s’il te plait.

- Mais Maman… Je veux aller dans l’eau !

- Deux minutes c’est trop te demander ?

Aveline soupira et croisa les bras. Qu’est-ce qu’elle avait encore à lui reprocher.

- Tu es bien insolente en ce moment, ma fille. Il va falloir que ça cesse.

- Vous pouvez pas me laisser tranquille ?! Je fais de mal à personne ! J’embête personne…

- Si, tu nous fais du mal. Ton père est très inquiet pour toi.

- Et pas toi ?

- Si… Bien sûr que si, ma grande. C’est le rôle d’une mère de s’inquiéter.

Le rôle d’une mère… Ah que ces mot avaient un goût amer. Aveline la foudroya du regard avant de partir sans un mot. Léonie la regarda faire, sans trop savoir comment agir. Elle s’attendait à avoir des problèmes avec ses filles lors de l’adolescence, mais elle misait plutôt son Adélaïde que sa brune de fille.

Elle regarda un moment ses enfants s’ébrouer dans l’océan avec joie. Les rires étaient au rendez-vous. Cela mis du baume au cœur meurtri de leur mère qui s’éloigna afin de s’installer tranquillement sur sa serviette.

Les jumelles s’amusaient à s’éclabousser. Elles étaient complices, comme toujours, même si Adélaïde restait la dominante de la paire. C’était dans son caractère. Aveline était toujours la plus effacée, même en cette période de rébellion.

- Allez ! Dis-moi ?

- Noon ! Hurla avec plaisir la brune.

- Allez ! Y’a bien un mec qui te fait craquer au lycée ?

- Et toi alors ?

- Ouais ! Tout un tas même !

- Sérieusement ? S’étonna Aveline. Toi qui voulais quitter la ville ?

- Ouais, ben j’ai grandi ma poule depuis !

- Ma poule ? Sourit Aveline.

- Ouaip, ma Poule !

Elles reprirent leur jeu sous le regard las de leur frère qui préféra reprendre sa nage loin de ces deux folles enragées. Elles remarquèrent leur cadet et d’un regard complice s’élancèrent vers lui.

Léonie lisait tranquillement, toujours allongée sur sa serviette. Elle avait entre-temps installé un poste radio et avait programmé une petite sélection de musique. Le Spécial Wyatt, comme elle aimait l’appeler. C’était, entre autre, une playlist composée de ses chansons.

Son téléphone, reposant à ses côtés, sonna. Elle quitta des yeux son livre et décrocha. C’était sa sœur, Audaline qui lui téléphonait.

- Salut ! Ça va ?

- Oui…

- Ouhla, tu as une petite voix… Tu es sûre que tout va bien ? S’inquiéta Léonie.

- C’est Nordine…

- Quoi Nordine ? Demanda-t-elle après un moment de silence.

- On s’est séparé.

- Comment ?!! Mais vous filez le parfait amour depuis le lycée !

- Comme quoi… Tout est possible.

- Qu’est ce qui s’est passé ? Il t’a trompé ?!

- Non… Il n’y a pas de raison particulière. On ne se parlait plus, on se croisait à peine.

- Audaline… Je suis désolée…

- Il n’y a pas de raison. C’est mieux ainsi.

Elles continuèrent à discuter un petit moment. Léonie était si désolée pour sa sœur. Nordine fut son seul et unique amour. Et la voilà passait dans le troisième âge, et son couple s’effondre. Sa sœur avait beau lui répéter que tout allait bien, Léonie la savait bouleversée. Elle se promit d’aller la voir très prochainement.

Il y a des jours, où il ne fait pas bon de se lever. Des jours où, même sous la couette on sait que la journée sera moche. Lorsqu’on est enfant, ce soucis-là n’existe pas.  Tout est beau, tout est rose, mais adolescent on déchante rapidement.

C’est comme une bonne grosse gueule de bois qui vous saute à la gorge et ne vous quitte jamais jusqu’au prochain anniversaire. Aaah… Qu’il est dur d’être adolescent… Je comprends mieux ma sœur maintenant. Pourquoi elle est si révoltée, si en colère.

Car j’ai moi aussi une énorme envie de tout casser. De toute envoyer balader. J’ai besoin de liberté. J’ai besoin de m’exprimer. Mais ce dont j’ai surtout besoin… C’est qu’on me laisse être qui je suis.

- Surtout avec ce poster… Il est trop agressif !!

Ce garçon est un ami d’enfance : Maxance Roger. On traine ensemble depuis nos premiers pas à l’école. C’est  mon meilleur ami… et je l’aime. Oui… Telle est ma malédiction. Je suis amoureux de mon meilleur ami, un garçon.

Ce secret m’étouffe, m’écrase le cœur. J’ai pourtant envie d’être comme tout le monde. Heureux, épanoui et … normal. Je le vois bien en cours, comment sont considérés les "différents". Des parias, des injuriés, des pestiférés…

Mais j’ai beau me le cacher, faire comme si rien de tout cela n’existait. Je l’aime et ça, je ne peux le détruire. Maxance est mon rayon de soleil. Si je vais à l’école, c’est pour lui.

Si je travaille bien en classe, c’est pour qu’il soit fier de moi. C’est pour que l’on ait un avenir lorsque nous seront adulte. Si un jour, je me déclare, j’espère qu’il sera à moi, rien qu’à moi… Mais je n’ai pour le moment, que mes rêves pour combler mes envies et mes espoirs.

Aujourd’hui, ma cousine Jane est à la maison. Elle est ma confidente. En fait, je ne lui en aurais jamais parlé si elle ne m’avait pas surpris en train de dévorer des yeux Maxance. Jane a un esprit assez affuté et a tout de suite compris. J’ai eu peur qu’elle me juge, mais au contraire, elle m’a soutenu –et me soutient encore- dans ma démence.

- Dis Aldrick…

- Hum ?

- Pourquoi Maxance ?

Cette question a le mérite de me faire lever le nez de mon cahier.  Pourquoi lui et pas un autre ? C’est très simple, il est naturel, gentil et social.

- C’est comme ça… C’est comme si je te demandais pourquoi tes parents se sont séparés…

- Hum…

Oui, j’ai sciemment répondu cela, car elle me met mal à l’aise avec ses interrogations sur les gays et les différents fantasmes. Elle croit que notre vie est si différente des hétéros ? Ou alors elle a la tête farci par ses bêtises que l’on peut trouver dans certain manga Boys love…

- Pardon… J’aurais pas dû parler de ça.

- Non, c’est moi Jane. Tu t’es pas encore remise de leur divorce.

- Bah… On s’y fait, malgré tout. Ils s’entendent encore assez bien. Et puis… Avec Maverick et Jean-Pierre, on sait qu’ils se sont aimés très longtemps.

Plus tard, dans la soirée, alors que j’ai invité Jane à rester diner, Aveline nous rejoint après son petit boulot. Ça aussi, c’était source de conflit dans cette maison.  Aveline quittait emploi sur emploi pour « tester » comme elle aime si bien le dire. Moi, personnellement, je m’en fichais pas mal. On a tous le droit de faire ses preuves, mais ma mère n’approuve pas l’indécision de ma sœur.

Mon père servait de chauffeur ses derniers temps à cette même sœur. Il est trop serviable… Quand je pense que Maman le mène par le bout du nez… Je plains mon pauvre père. Mais il ne semble pas malheureux. L’amour rend c*n…

- Bon Jane ? Tu te décides à tirer ?

- C’est bon Al’ ! Si tu me parle, je perds ma concentration.

- Cette excuse… T’es nulle, t’es nulle ! On va pas en faire une affaire d’état !

Plus tard dans la soirée, le couple se retrouvait enfin seul. Jane était rentrée chez elle avec son frère Maverick, devenu majeur depuis peu et les enfants étaient dans leur chambre. Léonie et Wyatt pouvaient enfin se retrouver seuls.

- Tu m’as manqué, ma Léonie !

- Arrête tes bêtises ! On s’est vu ce matin.

- Chaque instant loin de toi est comme un coup de poignard.

- Beau parleur… Et si tu me montrais combien je t’ai manqué ? Dit Léonie enjôleuse.

Wyatt s’empara de ses lèvres et ouvrit l’armoire.

- Tu n’es pas sérieux ?

- Allez ! Un peu de piment, ça fait jamais de mal non ?

Cette réponse fit glousser la blonde qui se jeta sur son homme, tout en lui dévorant les lèvres. Ils se déshabillèrent mutuellement puis se découvrirent de nouveau dans ce lieu insolite.

Ils ressortirent, plus que satisfait. Cependant, Léonie pu remarquer un désordre vestimentaire.

Le couple rit aux éclats. Ce qu’ils écopèrent ? Des coups contre la paroi et la voix nasillarde d’Adélaïde, dont la chambre se trouvait à côté.

- C’est pas bientôt fini oui !! Je veux dormir ! Et surtout pas de petit frère !!

Cela mit le rouge aux joues de Léonie mais l’hilarité redoubla, s’attirant de nouveau les foudres de l’adolescente.