Episode 1

Meadow Glen. Une petite bourgade aux allures sympathiques mêlant la campagne et le bord de mer. Le soleil était très souvent au rendez-vous, réchauffant de ses rayons les eaux et le sable qui bordait cette ville calme.

Le centre-ville était intéressant, rempli de différents types de commerce comme des bars, des cafés… Meadow Glen était une ville dynamique sur le plan culturel, proposant un théâtre, un cinéma, un espace d’étude. Elle ne manquait de rien car toutes les infrastructures étaient présentes. Lesquelles ? Il y avait un hôpital, une école, un studio d’enregistrement, un commissariat et même un centre équestre.

La famille n’eut donc aucun regret à quitter Moonlight Falls, qui manquait de bien des choses. Il n’y avait pas cette atmosphère étouffante à Meadow Glen. Au contraire, tout transpirait la paix, la sérénité. Les eaux de la mer berçaient le cœur de ses habitants, calmant leur rancœur et leur désespoir.

En voyant la brochure de cette bourgade tranquille, la famille Vauganne ne put résister et décidèrent de s’y installer, laissant derrière soi les problèmes et les souvenirs. Certes, ils étaient tristes de quitter la maison de leur enfance mais le foyer n’était pas une maison, mais l’essence même d’une famille.

Anaïs avait pris conscience de cela en posant le pied sur cette terre pour la première fois. Le soleil était comme une annonce de bonne nouvelle, contrairement à Moonlight Falls qui n’était que pluie perpétuelle. Elle ne s’y était jamais réellement sentie à sa place, ni heureuse. Peut-être était-ce dû à l’internement de sa mère alors qu’elle n’était qu’une toute jeune adolescente ?

Ou était-ce la rupture éminente entre ses parents ? Anaïs soupira avant de lever les yeux droits devant elle. Elle aimait sa mère mais ce qu’elle lui reprochait, il y eut quelque années, c’était son état dépressif et non-combattif. Ambrine se laissait couler dans ses problèmes et son désespoir. Anaïs aurait aimé l’aider, mais elle était trop jeune pour cela. Et leur père trop débordé à gérer la maison, les six enfants ainsi que sa carrière professionnelle. Alors la blonde avait pris les armes –un téléphone- et prit contact avec l’hôpital de Monte Vista. Sa mère y fut accueillie après sa troisième tentative de suicide. C’était trop pour Anaïs. Le spectacle qu’offrait Ambrine à ses petits frère et sœur, Azilis et Yoric, était déplorable et désastreux.

Mais elle ne pouvait blâmer sa mère d’être dépressive. Après tout, Ambrine n’avait-elle pas perdu sa mère toute jeune adolescente ? Puis affronter la solitude, les tourments de la puberté seule ? Elle n’avait pu partager ses joies comme ses peines avec sa propre mère. Anaïs le concevait, sa mère n’était pas faite pour créer une famille aussi nombreuse. Ils étaient quadruplés et jumeaux. Elle les avait eu si jeune avec Lawrence. Elle n’avait pu profiter de sa jeunesse, ni de sa vie de jeune couple…

Mais désormais, ces problèmes étaient loin derrière eux. Ambrine passa une année entière à Monte Vista, loin de sa famille. Anaïs aida son père en s’occupant des plus jeunes, tandis que ses frères vivaient leur vie d’adolescent loin d’eux. Ils avaient préféré partir eux aussi, intégrant des internats.

La blonde ferma les yeux, chassant une larme orpheline de ses paupières. Elle n’aimait pas se retrouver seule, et ils l’avaient tous abandonné. Mais, une fois encore, elle ne pouvait leur en vouloir. Aujourd’hui, ils avaient tous réussi leur vie. Mais elle… Qu’avait-elle désormais ?

Un crissement dans les copeaux de bois la coupa de ses pensées. Elle releva la tête, tout en dissipant le voile qui était sur ses yeux et découvrit avec stupeur un homme devant elle. Elle serra ses doigts sur les chaînes de la balançoire et ne cessait de fixer le nouveau venu. Il s’était spontanément mis devant elle, et la dévisageait également, avec amusement.

Elle ne pouvait en croire ses yeux, et aurait juré rêver. Il était impossible qu’il puisse la retrouver. Elle était partie si loin, prenant garde de ne pas laisser de trace derrière elle. Un nuage passa devant le soleil, voilant sa lumière. Elle découvrit alors que cet inconnu était légèrement différent de lui. Ses cheveux étaient plus roux que les siens, ses pommettes plus hautes, ses lèvres plus voluptueuses, sa peau était légèrement halée et son regard pas aussi puissant que le sien.

- Je peux vous aider ?

Son cœur fit un bond lorsqu’il lui parla. Sa voix était la même. A s’y méprendre ! Anaïs retint de justesse un cri, laissant tout de même un hoquet de stupeur s’échapper de ses lèvres. L’homme la fixa alors, arquant un sourcil, attendant une réaction d’Anaïs.

La blonde se releva, en hâte, trébuchant au passage. Il tendit alors les bras pour l’aider à se stabiliser. Le rouge lui monta alors aux joues. Ses mains étaient douces et puissantes.

- Pardon… Je… Bredouilla Anaïs en replaçant une mèche derrière son oreille.

- Il n’y a pas de mal. Par contre, j’ai quelque chose sur le visage ou bien… ? Demanda l’inconnu avec sarcasme.

Le rouge sur les joues de la jeune femme s’accentua, ce qui lui valut un rire assez moqueur de l’inconnu. Il l’avait surprise à le dévisager –non pas qu’elle s’en cachait mais c’était toujours gênant, pour l’un comme pour l’autre- et il se moquait d’elle désormais. Elle oublia sa gêne, gonflant une de ses joues. C’était sa façon à elle de contenir une colère montante. Ils ne se connaissaient pas et il osait se moquer d’elle.

La réaction d’Anaïs lui étira les lèvres en un plus grand sourire. Ce qui attisa la colère de la blonde. Elle arqua à son tour un sourcil puis le foudroya du regard.

- Je vous demanderais d’arrêter de vous moquer de moi !

- Qui se moque ? Dit-il avec aplomb, et un sourire narquois.

- Vous ! Et vous recommencez !

Cela arracha un rire franc au jeune homme, qui s’étouffait tout en se tenant les côtes. Anaïs piqua un fard, de nouveau et se mordit la lèvre afin d’éviter de le gifler et de l’insulter.

Elle entama une légère rotation, afin de prendre congé de cet énergumène, mais ce dernier la retint d’une main sur le poignet. Outrée, elle le fixa, les yeux ronds et commença à tendre son autre main afin de lui faire comprendre sa manière de penser. Mais l’inconnu –surtout son regard- la laissa interdite. Tout en lui lui rappelait son ancien amour. Sa voix, ses cheveux, certains de ses gestes. Une boule commençait à naître au fond de son ventre.

- Lâchez-moi ! Hurla-t-elle, au bord de l’hystérie.

Le roux recula légèrement, levant les mains devant lui, afin de montrer que ses intentions étaient pacifiques. Mais Anaïs le foudroyait toujours du regard. Cela fit sourire l’homme, chose qui redoubla la fureur de la blonde, qui s’en un mot, tourna les talons et prit la direction vers la sortie du parc.

- C’est quoi ton nom ? Lui demanda-t-il, en criant.

- Va te faire voir ! Lui hurla-t-elle, en levant une main exaspérée, puis elle accéléra le pas.

L’après-midi vint rapidement, et les préparatifs étaient enfin terminés. La maison venait tout juste d’être restaurée. En arrivant à Meadow Glen, les Vauganne avaient acheté une vieille bâtisse délabrée. Il y avait beaucoup de travaux à faire mais cela ne découragea pas la famille. Au contraire, Ambrine et Lawrence y voyait une occasion de pouvoir tourner la page. Le cadre était joli, une mare bordait la maison, ainsi qu’une ancienne grange plus au loin. Leur famille était grande, il fallait de l’espace.

A l’étage, deux femmes s’atteler à une tâche bien difficile mais cruciale : se faire belle.

- Vous êtes sûr ?

- Voyons Kacey ! Tu es magnifique ! Bien plus que d’ordinaire.

La femme en jaune souriait de toutes ses dents devant la moue gênée de la jeune femme en blanc. Kacey était une femme simple et douce, qui craignait la moindre fausse note. Surtout en ce jour si particulier. Mais Ambrine était à ses côtés depuis ce matin, et ne cessait de la soutenir.

La jeune femme ne cessait pourtant de s’observer. Elle voulait croire en sa future belle-mère mais l’incertitude ne cessait de lui gâcher le visage. Ambrine soupira et lui tapota le dos avec un sourire compatissant.

- On est rarement satisfaite de soi-même.

- Je crois… Oui… Vous avez raison. Mais je veux que tout soit parfait. Se plaignit la plus jeune.

Ambrine ne put s’empêcher de sourire et de repenser à son propre mariage, des années auparavant. Elle n’avait pas le même parcours que ses enfants, et elle savait chaque engagement différent. Après tout, son fils n’était pas le premier à dire "oui" dans cette famille. Willheim, Eudes et Yoric avaient franchi le pas depuis bien longtemps.

- Tout sera parfait, Kacey. Et si cela ne l’est pas, cela te fera des souvenirs pour tes vieux jours.

Kacey cessa de regarder dans la glace et posa ses yeux bleu-vert sur Ambrine qui lui souriait avec bienveillance. Elle ne se sentait guère rassurée par ses propos. Ambrine perçut son angoisse croissante et la plongea dans ses bras, comme elle l’aurait fait pour ses filles.

- Allons, allons, ma grande ! Tout se passera bien. Le plus important n’est pas la cérémonie mais ce qui en découle.

- Ce qui en découle ?

- Ta vie auprès de mon fils.

Cela arracha un immense sourire à la future mariée qui remercia la vieille femme. Elles virent que l’heure était bientôt arrivée, elles décidèrent alors de descendre au rez-de-chaussée, afin d’accueillir les invités.

Kacey était installée dans le salon, a essayé de ne pas trop se ronger les ongles sous le coup de l’anxiété, lorsqu’elle fut rejointe par Anaïs, qui avait revêtu sa simple tenue. Anaïs n’aimait pas le faste et appréciait la simplicité. En voyant la blonde la rejoindre, Kacey lui sourit avec nervosité.

- Tu te sens prête ?

- Tu plaisantes… Je pourrais mourir sur place ! S’affola la future mariée.

Cela fit doucement rire Anaïs. Elle n’avait jamais pu comprendre le stress qu’engendrait les mariages, n’étant que la sœur du marié à chaque fois. Elle n’avait aucune envie de connaître cela en voyant l’état de Kacey. Elle appréciait énormément cette demoiselle, que son frère lui avait présenté bien des années plus tôt comme sa petite amie. Elle vivait dans la paisible ville de Riverview auprès de sa famille. Taliesin et Kacey se rencontrèrent à l’université, par l’intermédiaire d’amis. Taliesin ne voulut jamais raconter cela à sa sœur, bien qu’ils fussent proches. Son frère était trop pudique pour étaler ses sentiments et en parler.

Mais Anaïs les savait profondément amoureux, malgré les années qui passèrent après leur rencontre. Elle soupira, car elle-même ne croyait pas en l’amour. Enfin, pour elle. C’était toujours plus beau chez les autres.

- Tu n’as pas à t’en faire. C’est avec Tal’ que tu te maries !

- Et ? Il n’a pas l’air comme ça, mais c’est un grand stressé !

Anaïs faillit éclater de rire sous son nez. Taliesin était un homme détaché de tout, qui vivait comme bon lui semblait. Mais il était vrai qu’il était soucieux du bien-être de ceux qu’il aimait, les faisant passer avant lui.

- Hum et si on reporté le mariage ? Après tout… En pleine semaine c’est pas la meilleure des idées !

- Kacey, Kacey…

La brune oublia la blonde et ruminait dans son coin. Anaïs soupira de nouveau. Il était vrai que la date du mariage n’était pas des plus appropriée. Obligeant d’attendre la fin d’après-midi voire le début de soirée que chacun rentre de son travail. Mais nos tourtereaux étaient pressés de se passer la bague aux doigts.

Trop anxieuse, la future mariée se leva et fit les cent pas, ne cessant de répéter que le jour n’était pas le bon. Anaïs soupira encore. Elle était loin d’être envieuse. Non, loin de là. Un mariage était tout un évènement qui ne méritait guère de se sacrifier. Elle n’en voyait pas l’utilité.

Elle se leva à son tour et pinça sans préambule la joue de son future belle-sœur. Kacey hurla tandis qu’Anaïs lui souriait.

- Mais qu’est-ce qui te prend ?!

- Je te ramène sur terre ! Kacey, les invités sont presque là ! Tu ne peux pas annuler ! Et quand bien même, tu ne souhaites plus épouser mon frère ?

Son ton se voulait joviale et bon enfant, mais Anaïs menaçait, sans le vouloir, Kacey. La femme en blanc déglutit avec peine puis se ressaisit. Elle repoussa gentiment la blonde et lui offrit un magnifique sourire, puis elles rirent ensemble, laissant la pression retomber. Elles s’adoraient et ces petites joutes verbales étaient leur façon de se le dire.

Pendant ce temps, Taliesin attendait dehors afin de recevoir sa famille. Les invitations furent minimes car le couple souhaitait un mariage simple et intimiste. Résultat : que des Vauganne. Les premiers arrivés furent Eudes et Khali.

- Salut Tal’ ! Alors prêt pour le grand saut ?

- C’est ça moque-toi ! Mais tu y es passé aussi.

- Oui…C’est jamais le jour le plus rose de ta vie, mais ce qui en résulte est juste génial ! Intervint la jeune femme.

Les deux frères la scrutèrent et elle afficha son habituel sourire démesuré. Khali était une femme dynamique et toujours enthousiasme. Avec Willheim, ils faisaient la paire.

- Et ton mari ?

- Will ? Il va arriver plus tard, son boulot le retient.

- Comme toujours… Soupira Eudes.

- Comme toujours, confirma la jeune femme avec un sourire.

Khali les salua une dernière fois et rejoignit les autres femmes dans la maison, laissant Eudes et Taliesin entre eux.

Le soir venant et les invités arrivés, les festivités purent commencer. L’atmosphère était encore emplie de chaleur, en ce doux soir d’été. Les Vauganne savouraient avec plaisir la brise douce et légère qui alléger le poids de la chaleur sur leurs épaules.

Les convives se méttaient en place, dans la cour de la maison, le long de la mare. Yoric, Willheim ainsi qu’Azilis et sa compagne Keiko étaient arrivés en hâte, après une longue journée de travail. La famille s’était largement agrandie depuis. Chaque enfant avait son compagnon ou sa compagne. Willheim s’était trouvé Khali, une jeune métisse qui s’exprimait toujours avec jovialité. Eudes s’était un peu ouvert et adouci aux côtés de sa femme Sybille, Yoric avait franchi le pas, depuis peu, en épousant Jessica. Et Azilis avait étonné tout le monde en avouant son homosexualité et en amenant chez elle Keiko.

Chacun nageait dans son propre bonheur et en participant, pour la plupart, au dynamisme de la ville. Eudes s’était engagé dans les forces de l’ordre. Ses parents l’auraient cru bon scientifique mais l’avenir en décida autrement. Will suivit les traces de Lawrence en faisant carrière dans la musique, lâchant difficilement ses instruments, au détriment de sa femme. Taliesin, lui, prit plaisir à se découvrir un talent culinaire et fut rapidement engagé dans un des restaurants de la ville. Tandis que Yoric se lança dans une carrière Politique, trouvant que le système de la ville était empli de faille. Et Azilis, se passionnant pour la photo, entreprit une carrière d’enquêtrice, prêtant ses services –moyennant finances, cela va de soi- à son frère Eudes.

Et ce soir, Taliesin allait franchir un nouveau pas dans sa vie : il se mariait.

- Sur cet anneau, je jure que je te serais fidèle, dans la vie comme dans la mort. Dit le jeune homme, en passant l’anneau à Kacey.

Sa voix était chargée d’émotion, cela retourna l’estomac d’Anaïs, car elle n’avait jamais vu son frère ainsi. Lui qui était si détaché de tout, tellement dans son monde. Le voir sortir de son univers et se mêler au commun des mortels fit pleurer Anaïs.

Elle n’était d’ailleurs pas la seule à verser des larmes, cette nuit-là. Sa pauvre mère ne cessait de pleurer. Ambrine était devenue une personne extrêmement sensible au bonheur des siens. Elle qui fut si éloignée jadis, Anaïs retrouvait enfin sa mère en ces journées si spéciales. Lawrence, toujours à ses côtés, souhaitait tout le bonheur possible à son fils et à sa bru.

La sensibilité était en chacun des cœurs des Vauganne. Même les plus forts ne pouvaient rester insensibles, comme Willheim, qui ne cessait de pleurer. Derrière lui, Sybille –la femme d’Eudes- ne cessait de se remémorer son propre mariage.

- Je te promets fidélité et un amour éternel, Taliesin. Je n’aurai jamais cru possible qu’un jour je puisse emprunter ton nom et devenir tienne à jamais.

Kacey prononça ses vœux à son tour et réitéra le geste de son mari. Les alliances à leur doigt, ils se fixèrent un petit moment, yeux dans les yeux, brillants d’amour et d’émotion.

Mais la magie se dissipa légèrement lorsque Willheim leur réclama un baiser, très rapidement rejoint par le reste de l’assemblée. Cela fit rougir la belle Kacey, tandis que Taliesin se grattait derrière la tête, avec gêne. Mais un sourire naquit sur leurs lèvres, puis d’un regard complice se prêtèrent au jeu. Leur échange fut rapide mais passionnée et chargé d’amour.

- Je t’aime… Lui souffla Kacey dans le cou, avant de se détacher.

- Je t’aime aussi… Bien plus que je ne pourrai le dire.

Les bravos résonnèrent, tout comme les grains de riz s’envolèrent. Le mariage fut simple et sans accrocs. Tout ce que souhaitait le couple. Kacey se tourna vers les invités, une larme se détachait de ses yeux, faisant couler légèrement son maquillage. Certains sifflaient, d’autres hurlaient, ou pleuraient encore.

Anaïs les regardait avec envie. Elle avait beau se targuer de ne jamais vouloir se marier, que l’amour n’était pas fait pour elle, elle restait envieuse face au bonheur de ses proches. L’averse de grain de riz lui floutait la vue, à moins que ce n’était ses larmes… Elle détourna alors le regard, laissa sa peine s’écouler le long de ses joues. C’était un étrange sentiment qui la tenaillait : mitigé entre le bonheur et la peine. Mais elle ne devait pas montrer sa morosité. Pas ce soir, c’était le mariage de Taliesin. Elle devait sourire.

La famille s’installa rapidement dans le salon, afin de procéder à une petite séance photo. L’installation fut longue et laborieuse, mais les couples étaient heureux de poser ensemble.

Eudes et Sybille s’aimait avec sincérité. Il était si difficile d’arracher un sourire au jeune homme, mais depuis sa rencontre avec Sybille, il était plus ouvert, plus sûr de lui, mais il conservait son côté cynique et mordant. On ne pouvait le refaire, et il ne le souhaitait pas. Sybille était une femme naïve, assez réservée et distante. Mais tout à fait polie et serviable.

Yoric et Jessica restait un couple un peu à part. Le jeune homme avait épousé en hâte la jeune femme, car elle était enceinte. Elle abordait son deuxième trimestre. Yoric, qui est pourtant une personne rationnelle, ne pouvait s’empêcher de sourire et d’être impatient quant au nouveau venu. Jessica avait beau tenter de le raisonner, de prendre un peu de distance, sa résolution et son sérieux lui fit passer la bague aux doigts. Elle avait confié, alors à Anaïs, qu’elle était bien plus qu’effrayée. Elle ne se voyait pas mère et mariée si jeune, sortant à peine de l’adolescence, mais au fond d’elle, elle était heureuse de cette vie qui germait en elle.

Lawrence et Ambrine s’aimait toujours autant, même davantage. Les épreuves qu’ils traversèrent, les rendirent plus fort et sondés. Après la naissance des jumeaux, Ambrine avait bien sombré dans une dépression ravageuse. Ce qu’ils ne dirent à leurs enfants, ce fut qu’Ambrine ne cessait de se mutiler, se ratant de peu. La mort, elle la cherchait tout en la fuyant. Elle était prête à partir, mais cela l’affligeait immensément. Alors les démarches qui fit Anaïs à cette époque –celles de l’envoyer en maison de repos- fut le déclic. Ambrine s’en alla, le cœur lourd, voyant l’héritage qu’elle avait laissé à ses enfants : le néant. Elle passa donc une année à se reconstruire, avec l’aide de Lawrence, qui géra les enfants, leur éducation, leur scolarité, leur adolescences… Elle ne saura jamais comment le remercier. Elle lui était redevable à vie, mais l’humilité de son époux lui répondit qu’elle ne lui devait rien, si ce n’était vivre heureuse pour lui, pour elle, pour leur famille.

Kacey et Taliesin étaient à des lieux de se soucier de ses détails. C’était un élément du passé que le jeune homme souhaiter oublier. Non pas qu’il en ait honte, mais il fallait avancer. Il s’était promit de toujours prendre soin de sa femme, de la chérir et de faire en sorte qu’elle ne suive le chemin de sa propre mère. Mais le caractère de Kacey n’était pas identique à celui d’Ambrine. Kacey, sous sa douceur et sa gentillesse, était une femme forte qui savait quand pleurer, lâcher la pression. Ce fut cela qui captura le cœur de Taliesin. Sa détermination, et sa fragilité contrôlée.

Azilis était l’originale de la maison. Elle était exubérante, dynamique et capricieuse. Et elle avoua sans peine sa relation avec Keiko. Les deux jeunes femmes s’étaient rencontrées au détour d’une enquête d’Azilis. La brune était la cible de son enquête, accusée alors par ses propres parents d’homosexuelle. Azilis avait pris cette affaire à contrecœur. Elle ne concevait pas qu’on puisse qualifier son orientation sexuelle comme une trahison. Mais les parents de Keiko étaient très conservateurs et souhaitaient que leur fille unique fonde une famille. Alors Azilis conçu un plan, afin d’aider cette jeune femme. Elle se fit passer pour sa petite –amie. Et de fils en aiguille, cette mascarade devint réalité. Elle avait trouvé en Keiko la deuxième partie de son âme. La brune était taquine, chic et ne se laissait guère marcher sur les pieds.

Et Willheim… Willheim vivait comme bon lui semblait. Dans sa musique comme dans sa vie de couple. Il avait conservé son côté "grand-frère" en surprotégeant le reste de la fratrie, malgré la distance qui les sépara durant son enfance. Doux et complaisant, il sut charmer l’énergique Khali, qui était une bonne vivante et toujours souriante.

Photo prise, la famille se rendit dans la pièce d’à côté, afin de conclure cette soirée en découpant la pièce montée. Taliesin avait pris le temps de la confectionner. Il coupa donc le dessert qui fut rapidement assailli par la tribu affamée qu’était les Vauganne, las d’entendre le discours du marié qui s’enfonçait à chaque mot prononcé.

- Dis Anaïs ?

- Oui ?

- Tu trouves pas ça étrange que l’on soit les seules à ne pas être mariées ?

La blonde la regarda alors, intriguée par ce qu’Azilis tentait de lui dire.

- Que veux-tu dire par là ? Demanda alors Anaïs une fois installée à table.

Autour d’elle se trouvait sa famille. Elle était gênée d’aborder ce genre de sujet avec autant de monde autour d’elle. Contrairement à sa sœur qui s’en souciait guère.

- Et bien, Eudes, Will’, Yoric et maintenant Tal’… Sur nous six, seules les filles ne sont pas mariées.

Anaïs cligna des yeux devant la logique de sa sœur. Elle ne voyait absolument où Azilis souhaitait en venir. Elle regarda alors ses belles-sœurs qui avalaient avec appétit leur part de gâteau.

- C’est logique, intervint Jessica entre deux coups de fourchettes, vous êtes toutes les deux célibataires.

- Hé ! J’ai Keiko moi ! Râla Azilis.

- Oui mais ce que Jessica cherche à dire, enchérit Sybille, c’est que vous n’en êtes pas encore aux engagements à vie. Je me trompe ?

Azilis prit la peine de se taire un instant avant de s’assoir aux côtés d’Anaïs qui ne pipait mot. Azilis et Keiko étaient deux femmes, bien que le mariage homosexuel ne fût pas interdit, il était assez rare et "dérangeant" pour la plupart des hétérosexuels. La jeune femme en rouge soupira puis, d’un coude sur la table, se soutint le menton.

- On en est pas encore là, de toute manière, avec Keiko. On est encore jeune, et on se satisfait de notre situation. Mais je dois avouer que ce genre de truc –elle désigna l’ensemble de la pièce d’un geste de la main- ça me donne des envies. Pas toi, Anaïs ?

La blonde hoqueta puis regarda l’assemblée. Tous les regards étaient portés sur elle, elle détestait être le centre de l’attention. Elle baissa alors la tête et se concentra sur son gâteau. Elle dû admettre qu’elle enviait ses frères, mais elle n’était pas prête à passer ce cap, et surtout, elle n’avait personne avec qui franchir ce pas.

- Hé ho ! La terre appelle Anaïs !?

- Ne l’embête pas, intervint Taliesin après les avoir rejoint. Elle a bien le temps de se trouver quelqu’un.

Anaïs le remercia en silence. Seul Taliesin connaissait son histoire, son passé amoureux auprès d’un certain homme. Cela était beau, cela était idyllique, mais cela avait vite tourné aux cauchemars. Son intervention coupa court à cette discussion, et le sujet devint plus léger comme le déroulement de la grossesse de Jessica. La jeune femme fut heureuse de l’intérêt qu’on lui portait et mena la discussion pendant le reste de la soirée.

Episode 2

C’était une matinée charmante qui s’engageait sur la ville de Meadow Glen. Les oiseaux chantaient, l’eau des cascades et des vagues clapotaient à leur grès, se liant d’amitié avec le vent, qui s’amusait follement avec la cime des arbres qui appréciait la fraicheur de sa bise. La rosée commençait à se consumer sous la chaleur des rayons naissant du soleil.

La nature était en éveil, comme certain habitant de la ville. Les rues se peuplaient doucement, dans l’effervescence endormie des citoyens qui préféraient largement la chaleur et le confort de leur lit que celui des rayons du soleil qui blessaient leurs pauvres yeux encore ensommeillés.

Et Anaïs ne faisait pas exception à ce mouvement de masser quotidien. Bien qu’elle ne travaille pas, préférant s’occuper de son potager, elle s’obligeait chaque matin à se lever tôt afin de profiter de la fraîcheur agonisante de la nuit. Avec un mouvement très lent de son bras, elle écrasa sans ménagement le bouton d’arrêt de son agresseur matinal : le réveil. Elle le détestait, ce réveil, mais en même temps, elle l’adorait. Elle sortit des draps, dépliant ses jambes engourdies hors du lit, frôlant de ses pieds nus le sol froid. Elle s’étendit avec grâce, ouvrant bien grand la mâchoire et bailla bruyamment.

Elle était si bien dans son lit. Dans les bras de ses songes. Elle aimait ces instants où tout était encore possible et sans nuage. Mais il lui fallait accepter la vérité. Cet être qui fut si cher à son cœur n’était plus accessible. Ils étaient loin l’un de l’autre. Et c’était pour le mieux, selon sa mère. Ambrine n’avait jamais pu supporter cet homme, mais Anaïs en était folle, et ce depuis son adolescence. Il fut sa bouée, son ancre, son point d’attache à ce port qu’est la vie. Un roc si solide qu’elle pouvait y étancher ses larmes, comme ses craintes.

Mais à trop pleurer, elle l’avait fait fuir. Cet homme avait disparu de sa vie et l’avait laissé sur le quai, préférant naviguer seul. Elle avait sombré, l’ancre plus lourde que jamais accroché à sa cheville. Et les problèmes c’étaient alors enchaînés, la faisant tendre vers la folie et le désespoir. Sa rupture avec Ludéric était une des raisons majeures du départ de Moonlight de la famille Vauganne. Anaïs détestait cela – être responsable d’un bouleversement dans la vie de tant de personne- mais que pouvait-elle faire d’autre que de suivre les gens qui tenait à elle et à qui elle tenait ? Elle ne se voyait guère vivre seule, loin d’eux. Elle avait changé de port, s’amarrant là où la sécurité et l’amour était sans faille.

Elle se reprit et enfila rapidement sa robe, puis se démêla les cheveux afin de les attacher comme à son habitude. Elle se regarda une dernière fois dans la glace, étira ses lèvres en un sourire approximatif puis, franchit le pas de la porte afin de descendre. Elle trouva alors au rez-de-chaussée le reste de sa famille qui déjeunait avec énergie. Ambrine et Lawrence tentait encore de raisonner Keiko et de l’éloigner de ses grandes ambitions. Azilis écoutait tout en espérant que le ton n’allait pas monter. Elle vit alors sa sœur et trouva en elle un soutien habituel. Le regard qu’elles s’échangèrent était à la fois amusé et exaspéré.

- Encore en train de se chamailler ? Disaient les yeux d’Anaïs.

- Et oui, toujours la même rengaine… Semblait s’apitoyer ceux d’Azilis.

- Mais Ambrine ?! Je ne vois en quoi mes aspirations à devenir actrice vous gênent à ce point !

- C’est un métier extrêmement difficile qui ne se choisit pas sur un coup de tête, ma fille

Ambrine avait rapidement adopté la petite Keiko. Malgré ses folies de grandeur et son côté décalé, la brune était une demoiselle joviale et charmante qui avait ravi le cœur des séniors – après celui d’Azilis. Keiko fut étonné de voir avec quelle facilité elle fut acceptée au sein de la famille Vauganne. Mais on lui apprit alors l’existence du regretté Aldrick et de sa complicité avec feu son mari Mathis qui furent comme des pères pour Ambrine.

Le coup n’en resta pas là, hélas, car le couple hérita d’une lourde réprimande de la part de leur dernière fille, qui en avait plus qu’assez qu’on rabroue ainsi sa petite amie. Anaïs avait, encore une fois, assistait au débat, dans le silence, en mangeant.

Elle savait que ses parents n’étaient pas contre le métier d’acteur, mais ils doutaient sincèrement de l’ambition de Keiko. La brune était jeune, comme Azilis, et comprenait difficilement les enjeux d’un tel métier. Azilis s’était engagée dans un sacré challenge, en étant enquêtrice indépendante. Ambrine craignait pour la stabilité de leur couple. Elles auraient des horaires différents et des journées surchargées. Avec Lawrence, elle avait vécu ses mêmes difficultés –elle étant dans le domaine sportif et lui dans la musique- et son couple avait failli se briser à cause de cela.

Anaïs laissa son regard se balader dans la pièce et put voir avec bonheur que tout était rentré dans l’ordre entre eux. Lawrence et Ambrine était toujours aussi amoureux, si ce n’était plus. Ils avaient toujours un petit sourire ou un geste affectueux envers leur moitié, à chaque fois qu’ils se croisaient.

Anaïs était un peu jalouse de cet amour infaillible qui tapissait leur vie. Elle aussi rêvait d’une belle histoire d’amour et d’un époux à son bras, afin d’élever leurs enfants dans un environnement aimant et plein de rire. Mais on le lui avait refusé quelques années plus tôt. Elle soupira après avoir avalé sa dernière bouchée. Ses parents étaient des exemples pour elle. De par leur force, leur caractère et leur histoire. Elle se sentait si insignifiante à leur côté. Trop effacée… Mais que pouvait-elle faire contre son caractère fuyant ? Rien, si ce n’était que subir.

Azilis arriva alors, fin prête, dans sa tenue bariolée. Mains sur les hanches, Keiko à ses côtés, la jeune fille faisait face à son aînée.

- Encore à soupirer ? Un triste sourire parcourut le visage de la blonde. Fini les lamentations Anaïs ! Aujourd’hui on sort !

- Où ça ? Demanda-t-elle, alors.

- Au centre-ville, pardi !!! C’est festival après tout !

Anaïs soupira une nouvelle fois, mais d’amusement cette fois-ci. Azilis avait le don de lui donner le sourire. La petite dernière avait son côté égocentrique qui faisait qu’Anaïs s’obligeait à mettre ses préoccupations et ses doutes de côté.

Plus tard, alors qu’elles s’apprêtaient à s’installer autour d’une table afin de papoter, Anaïs était en pleine conversation téléphonique passionnée. Azilis et Keiko papotaient avec gaité, lorsque la blonde raccrocha enfin.

- Qui c’était ? Lui demanda Azilis.

- Tal’ !

- Et que te voulait notre bon vieux Taliesin ?

- Oh ! Rien de spécial.

 

Mais le sourire perpétuel qui étirait les lèvres de la blonde démentait ses propos. Azilis lui pinça alors gentiment la joue afin de lui tirer les vers du nez, tandis que Keiko ne cessait de rire, frappant du plat de la main la table, réclamant la révélation.

Et cette révélation fut une bombe. Kacey était enceinte. Leur mariage ne datant que d’un petit mois, et Kacey était déjà enceinte. La perspective de devenir Papa enchantait Taliesin plus que de mesure.

- Il pleurait ? S’empêcha de rire Azilis.

- Ne te moque pas ! La réprimanda sa sœur. Il est si heureux… Et Kacey ne cessait d’hurler derrière lui.

- Un enfant… Répétait la brune avec envie.

Elles débâtèrent un long moment de la capacité de Taliesin à s’occuper d’un enfant et certaines échafaudèrent des histoires rocambolesques sur les aptitudes de ce pauvre Taliesin à assister à l’accouchement.

Plus tard, alors que le couple Azilis et Keiko s’étaient éclipser dans les vestiaires afin de se changer et de passer du temps à deux, Anaïs était restée attablé, et le menton reposant sur sa main, elle ne pouvait s’empêcher de sourire et de souhaiter tout le bonheur du monde à son frère. Elle ne pouvait qu’être heureuse pour lui. Qui pourrait souhaiter le malheur à ses proches ? Même si elle était plus qu’envieuse, elle était comblée. C’était la deuxième naissance à venir de la famille. Ces nouvelles extraordinaire ne pouvaient que la conforter dans l’idée que le choix de partir était le meilleur. Elle se permit de rire.

- Tu as l’air bien bête à rire comme ça, toute seule. Un rendez-vous imaginaire ?

 

Une voix lourde de sarcasme la fit sursauter et quitter son monde de bonheur. Elle eut même un frisson le long de l’échine lorsqu’elle posa le regard sur son propriétaire. Son sang se glaça et elle ouvrit la bouche, sans qu’un son n’en sorte.

- Aurais-je raison ? Un sourire narquois ourla les lèvres de l’inconnu. Et maintenant, tu ressembles à un poisson hors de l’eau. Tu t’entraines pour un numéro de mimes, ou quoi ?

Juste à côté, Keiko et Azilis étaient fin prêtes et savouraient les yeux paisibles du jacuzzi spécialement installé pour les festivités estivales. Azilis installée aux côtés de sa petite amie, fixait la brune avec curiosité.

- Qu’est-ce que tu regardes comme ça ?

 

Keiko lui désigna l’endroit où elles se trouvaient il y a peu et elle ne put s’empêcher de rire en voyant sa grande sœur, rouge de colère, se tenir droite sur sa chaise devant un inconnu.

- Anaïs a des amis ?

- Pas que je sache,répondit la demoiselle Vauganne, ce qui m’étonne c’est qu’elle parle avec un homme.

- C’est vrai, ça. C’est la première fois que je la vois parler si ouvertement avec un homme, hormis tes frères.

 

Azilis se permit de soupirer. Cela ne lui ressemblait guère et Keiko la regarda avec sérieux. Sa petite amie n’avait aucune idée du passé amoureux d’Anaïs. La blonde avait aimé, avec beaucoup de passion et d’espérance, un homme abject, qui une fois sa virginité obtenue, l’avait laissé tomber comme une vieille chaussette, comme un objet usagé, bon qu’à aller à la poubelle.

- C’est pas plus mal. C’est bien qu’elle s’ouvre enfin aux autres, ajouta la brune avant de se blottir contre Azilis.

Cette dernière lui répondit avec un sourire avant de lui capturer les lèvres d’un baiser chaste mais aimant.

Mais l’ambiance était moins chaleureuse du côté d’Anaïs malgré le grand soleil et la chaleur de l’été. Au contraire, l’hiver était présent auprès de la jeune femme qui semblait ne vouloir qu’une chose : partir loin de cette créature abjecte. Mais l’homme ne semblait pas près à la laisser s’envoler.

- Qu’est-ce que vous me voulez à la fin ?!

- Moi ? Rien.

- Alors laissez-moi en paix !

 

Sa voix était crispée, tout comme son visage. Elle détestait s’énerver, et encore plus hausser la voix. Mais il lui échauffait les sens.

Mais ce qui l’énervait le plus, c’était son sourire plus que suffisant qu’il arborait à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche ou que son visage exprimait sa colère. Elle ne le connaissait ni d’Adam, ni d’Eve et il se permettait de l’aborder avec méchanceté. Elle était peut être docile et naïve, mais elle n’était pas prête à se laisser marcher dessus par le premier venu, surtout s’il était un homme. Sa timidité dans la poche, elle lui lança de sa plus belle verve, une plaidoirie injurieuse digne d’un charretier. Azilis lui avait appris tout un panel d’insulte, elle n’aurait jamais imaginé devoir les employer un jour.

Mais l’inconnu n’était pas sans ressource, et lui renvoya les compliments avec autant de grâce qu’elle. Anaïs sursauta. Le geste menaçant qu’il employa à son encontre la saisit alors de peur. Ses yeux s’exorbitèrent, ses lèvres tremblèrent et les larmes lui vinrent. Elle ferma un poing puis sans un regard, elle prit la fuite.

Elle savait que c’était totalement puéril de sa part. Mais la peur était un sentiment incontrôlable. Elle avait assez subi de violence et de coup dans le passé pour pouvoir en supporter d’autres. C’était son instinct qui la mouvait. Elle ne pouvait réprimer son envie de fuir. Elle traversa alors le parc puis la route, créant un sacré bazar sur la route. Ses pas étaient accompagnés de coup de klaxons et d’injures à son encontre de la part de la plupart des chauffeurs. Mais elle s’en fichait, le monde ne lui importait plus. Elle n’avait qu’une idée en tête : partir le plus loin possible.

Mais Anaïs n’était pas une athlète et la rapidité lui faisait défaut. Ce fut avec horreur qu’elle sentit la morsure infecte que les doigts d’un homme pouvaient infliger sur sa peau. Elle fronça les sourcils et ferma les yeux avec fermeté. Elle empêchait les larmes de s’échapper de ses paupières closes. Elle avait mal à agir ainsi. A ses paupières mais aussi au plus profond de son homme. Mais pour une raison qui lui était inconnu, elle avait stoppé comme il le lui avait ordonné. Son souffle était haletant, elle pouvait l’entendre par-dessus le sien. Son cœur battait à tout rompre. Etait-ce dû à la course ou à cause de sa présence ?

- Ce ne va pas ?! Tu aurais pu être blessé !

 

Elle se mit à trembler, encore plus fort qu’avant sa course. Il le remarqua et desserra un peu son emprise sur le bras de la jeune femme. Anaïs ne se retourna pas, ne voulant pas croiser son regard. Ce regard si similaire au sien. Elle ne voulait surtout pas voir ses cheveux tout aussi flamboyants que son ancien bourreau. Elle pria alors, intérieurement, qu’il la relâche enfin.

- Hey ! S’exclama alors le roux en la secouant.

- …ez-moi…

- Pardon ?

- Lâchez-moi !!

 

Dans un élan de colère, Anaïs se retourna et le gifla avec force. Le menton de l’inconnu vrilla sous le choc. Anaïs n’était pas une force de la nature et son propre geste l’étonna. Elle fixa alors sa main qui ne cessait de trembler. Elle était brûlante, engourdie par la douleur qu’elle s’était elle-même infligé. L’inconnu posa une main sur sa joue meurtrie et regarda avec stupeur la blonde qui tremblait de tout son être. Il la fixait, les yeux ronds et ne pouvait rien faire d’autre. Anaïs réalisa enfin son geste puis sans un mot lui tourna le dos et reprit sa course effrénée vers le parking.

Le roux la regarda partir, la main toujours sur sa joue. La surprise le quittant peu à peu, ses lèvres s’étirèrent en un sourire à demi-amusé, à demi-sadique.

Le soir même, Anaïs avait trouvé refuge chez son frère –et voisin- Talieisin. Il vivait avec Kacey dans un très beau loft aux allures moderne, entouré d’une large végétation luxuriante et fleuri. Anaïs appréciait ce qu’ils avaient réussi à faire de cette maison digne des années 60. Son côté rétro était désormais moderne.

Elle le trouva au fond du jardin, en train de nager. Ils n’avaient jamais eu de piscine ni ce genre de loisir luxueux chez eux, mais Taliesin avait pris goût à ce petit confort.

- Anaïs ?

 

Il fut étonné de la trouver là. Ils avaient pourtant discuté ensemble dans l’après-midi. Mais il n’allait pas lui reprocher sa présence. Sa sœur n’était pas dans son état normal. Il pouvait le sentir. Après tout, n’avaient-ils pas grandi au sein du même ventre ?

- Désolée de passer à l’improviste…

- T’en fais pas, Anaïs. Lui dit Tal’ en sortant de l’eau.

- Qu’est-ce que tu as ?

La question posait si abruptement déstabilisa la blonde, elle fixa alors son frère. Elle ne pouvait décidemment rien lui cacher. Elle soupira alors en baissant le regard vers le sol.

- Je suis totalement perdue, Tal…

Oh ! Ca il le savait ! C’était loin d’être une nouvelle. Mais Anaïs l’avouait enfin pour la première fois. Cela fit tristement sourire le cuisinier qui lui prit alors une main dans la sienne.

- Et si tu commençais par le début ?

- Je sais pas…

- Ça serait un bon départ, non ?

Cela fit sourire la blonde qui finit par acquiescer. Elle lui raconta alors la journée depuis son appel. Elle le félicita encore une fois pour sa toute jeune paternité, puis entama enfin son altercation avec cet homme désagréable.

- Mais tu l’as déjà vu ce gars ?

- Non ! C’est ça le pire ! C’est la deuxième fois que le croise, et il m’insulte.

 

 

Taliesin croisa les bras et la fixa. Anaïs était encore en colère, et il l’avait rarement vu ainsi.

- Attends… la deuxième fois ?

- Oui, avoua-t-elle d’une petite voix. La première, c’était le jour de ton mariage. Je prenais l’air dans un parc et il est venu vers moi.

 

- Il t’a fait quelque chose ? L’inquiétude transparaissait dans la voix de Taliesin.

- Non, non… Il s’est juste moqué de moi et de ma facilité à rougir. Dit-elle en rougissant de nouveau. Mais cet après-midi, il est venu vers moi et m’a insulté gratuitement !

L’entendre et la voir ainsi s’emporter pour une si petite histoire ne put qu’arracher un sourire à Taliesin qu’il s’empressa de ranger en voyant la foudre poindre des yeux bleus d’Anaïs.

Il posa une main sur l’épaule de sa sœur et avec un sourire confiant, il la rassura, lui disant simplement que cet homme était simplement en quête d’amusement et comme elle était une proie facile… Anaïs sourit faiblement puis ils échangèrent d’autres mots sur l’état de Kacey qui travaillait tard ce soir. La jeune femme avait choisi la voix de l’éducation nationale et cela l’obligeait la plupart du temps à faire des heures supplémentaires. Ils se quittèrent sur une embrassade.

Mais ce qu’Anaïs n’avoua jamais à son frère, c’était la tension, l’attraction qu’elle put ressentir pour l’inconnu. Elle avait honte de voir en lui son ancien amant. Mais c’était plus fort qu’elle. Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir toute chose à son approche. Et le simple contact de ses doigts sur sa peau lui avait échauffé les sens. La gifle fut sa simple échappatoire. Et elle n’était pas fière d’elle.

Mais comme lui avait conseillé ses frères avant leur déménagement, elle fit abstraction de ses sentiments.

"Il est parfois bon d’oublier ses envies et ses doutes, afin de pouvoir aller de l’avant. Alors, dis-toi à cet instant, tu n’es qu’une simple étoile qui brille parmi tant d’autre. Une âme de plus, qui vit aux côtés d’un millier de ses semblables. Et que parmi elle, se trouve la partie qui te fut arrachée."

 

Episode 3

 

Un mois s’était écoulé, l’été laissant sa place à l’automne. Les fleurs commençaient à s’éteindre, prévoyant d’ensommeiller jusqu’au premier chant d’oiseau lors du prochain printemps. La propriété des Vauganne se parait alors de magnifiques teintes rougeoyantes et orangées, se confondant avec harmonie au décor de la ville.

La petite famille vivait tranquillement, laissant les jours s’écouler comme les feuilles agonisantes qui gisaient sur le sol. Anaïs appréhendait, cependant, l’arrivée prochaine de l’automne, car elle vivait de ses cultures –aussi modeste étaient-elles- et l’automne n’était qu’annonciateur de l’hiver.

Mais elle tentait de relativiser. L’hiver était une saison nécessaire à la santé de la terre et des plantes. Il permettait le repos et la recharge de ressource nécessaire aux végétaux pour survivre et se reproduire. Mais c’était tout autant une période de creux pour elle.

Arrachant la dernière mauvaise herbe, Anaïs se releva en s’époussetant les mains légèrement terreuses. Elle aperçut alors du coin de l’œil son père sortir du garage, clé de la voiture en main, l’air amplement satisfait. Elle se souvint alors que ses parents étaient de sortie.

Elle alla rapidement à sa rencontre et le héla. Le vieil homme lui répondit d’un signe de main et la rejoignit tranquillement. Le sourire ne pouvait quitter ses lèvres, et cela était contagieux car la jeune femme souriait également de toutes ses dents.

- Alors ? S’empressa-t-elle de lui demander.

- Alors c’est un bien beau cadeau que ton frère nous a offert.

Cette réponse accentua le sourire de la blonde. Yoric avait appelé la nuit dernière, en catastrophe. Elle avait eu l’honneur de décrocher le téléphone et entendre son plus jeune frère pleurer et paniquer, l’avait rendu folle. Mais c’était une bonne nouvelle qui se profila. Yoric était à l’hôpital, avec sa femme Jessica. Le travail avait commencé quelques heures plus tôt, et l’accouchement allait débuter. Ambrine et Lawrence s’étaient alors précipité à ses côtés, souhaitant soutenir leur fils et assister à la naissance de leur premier petits-enfants.

Tanguy naquit au petit matin, dans les bras de sa mère, heureuse et fatiguée. Yoric ne pouvait s’empêcher de pleurer, aux dires de Lawrence. Le jeune homme était fier de son nouveau rôle, bien que le premier contact fut maladroit et hésitant. Anaïs sentit une petite boule d’envie grandir dans son cœur. Elle aussi rêvait de devenir mère et de vivre dans un foyer aimant. Elle avait certes sa famille, mais fonder un foyer restait une utopie dont elle ne voyait guère d’espoir.

- Oh ! Papa ? Fit-elle alors que son père s’apprêter à rentrer. Eudes a appelé.

- Oh ? Que voulait-il ?

- Rien, si ce n’était vous parler. J’ai dû lui arracher les vers du nez, tu sais comment il est ! Cela fit sourire le vieil homme. Accroche-toi bien, Papa, mais Eudes et Sybille attendent un heureux évènement.

- Comment ?

Lawrence se retint de tomber. Anaïs se précipita vers lui et le soutint par les épaules. Il se dégagea gentiment de son étreinte en la remerciant. La nuit fut longue et il n’était plus tout jeune. Il s’attendait à tout, sauf à ça. A croire que tous ses fils allaient lui offrir l’un des plus beaux cadeaux sur terre.

- Après Yoric, ce fut Taliesin et maintenant Eudes ?

- Oui… C’est drôle, n’est-ce pas Papa ? Il ne reste plus que Will et …

Les mots se turent dans la gorge d’Anaïs. Lawrence perdit un instant son sourire puis d’une main compatissante, il l’invita à le suivre à l’intérieur. Il savait sa fille désireuse de fonder sa famille, surtout avec les évènements du passé. Mais chaque chose en son temps, elle se devait d’être patiente et ne pas se précipiter.

Une fois lavée et changée, Anaïs parcourait internet. Elle avait reçu un étrange mail via son blog. La demoiselle avait entamé un récit, souhaitant s’occuper lors des hivers passées. Et elle avait rencontré un petit succès auprès d’un certain public. On lui demanda de continuer ses récits épiques et chevaleresques.

Mais il commençait à pleuvoir d’étrange commentaire sur ses billets depuis quelques temps. Certains étaient agressifs gratuitement, d’autre lui reprochaient de ne pas s’investir assez. Il était pourtant signifié depuis le début qu’elle faisait cela en amateur et en guise de distraction saisonnière.

Cela l’a dégouta. Notamment le dernier qui était assez riche en vocabulaire, dont elle n’aurait jamais pu en croire l’existence. Même Azilis était innocente à côté. Anaïs referma rapidement sa page puis éteignit son ordinateur. Il était si facile de juger les autres, bien confortablement derrière son écran sous couvert de l’anonymat. Il était si facile de blesser autrui avec de simple mot. Un unique mot pouvait briser cœur comme résolution et confiance en soi.

Elle soupira puis porta son regard sur l’extérieur. Le soleil brillait fort et semblait l’appeler à lui. Avec un petit sourire à demi-contrit, elle se leva puis prépara à sortir. Elle devait oublier la méchanceté gratuite du net. C’était une façon pour la plupart des enfants et adolescents d’aujourd’hui d’expulser leur mal-être et à apprendre à se forger. Mais lorsqu’elle voyait le chemin que la majorité empruntait, elle avait peur en l’avenir.

L’après-midi touchait presque à sa fin, et après avoir conviait sa sœur à la rejoindre –chose qu’Azilis déclina préférant rester sur son ordinateur à travailler sur son enquête- Anaïs s’était donc rendue sur l’un des abords du fleuve. Malgré l’automne, les températures étaient agréables et elle profitait d’un long moment de solitude. Les rayons du soleil étaient de bons thérapeutes. Elle n’avait pas besoin de parler. Il lui suffisait simplement de rester allongée et de s’abreuver de leurs bonnes ondes.

Elle venait souvent ici, seule, lorsque sa sœur la laissait tomber ou lorsqu’elle recherchait un peu de solitude. Elle pouvait rester seule des journées entières chez elle. Ce n’était pas pareil. Il y avait toujours un rire ou un éclat de voix. Malgré elle, la vie continuait son chemin. Alors, lorsqu’elle avait besoin de s’évader ou de rester seule, elle venait se réfugier ici. Observer le mouvement de l’eau, écouter le bruissement des feuilles caressées par le vent, le chant des oiseaux pépiant à loisir. Ou alors, comme aujourd’hui, elle savourait une épopée, jadis écrite pour son ancêtre Aèlys. Elle prenait des notes à fut et à mesure de ses lectures, s’inspirant de ses idées.

Elle parcourait les lignes, un grand sourire sur les lèvres, trouvant sa place dans le cœur de l’héroïne. Elle n’était pas la princesse Alishat, qui par la force des choses dû prendre la place de son roi et gouverner son pays d’adoption, mais Anaïs se sentait proche d’elle. L’héroïne ne souhaitait qu’une chose : aimer et être aimée. Mais cela lui faisait grandement défaut. Son époux la détestait, son père la fuyait, son propre enfant la dédaignait. Elle était seule, seule dans cet immense forteresse qu’était son palais, entourée pourtant par des centaines de serviteurs et courtisans. Mais le nombre ne faisait pas forcément la force dans ses cas là.

Certes, la famille d’Anaïs n’était pas si grande, mais Anaïs était l’unique célibataire et bien qu’aimée, elle ne se sentait pas à sa place.

Le vent fit tourner sa page. Irritée par ce léger trouble, elle grommela tout en tentant de retrouver sa ligne. Cette partie était tout à fait intéressante, selon elle, et elle ne souhaitait aucunement louper les avancées sentimentales d’Alishat et d’un de ses proches. Elle replaça alors une de ses mèches de cheveux derrière son oreille, comme elle avait l’habitude de faire lorsqu’elle était absorbée dans une tâche. Mais une ombre vint se placer sur elle, gâchant le peu de lumière qu’elle avait. Encore plus irritée, elle lança un regard derrière elle, prête à protester contre les nuages. Mais ses pupilles s’agrandirent plus que de raison lorsqu’elle aperçut l’homme qui se tenait derrière elle. Paniquée, elle rangea ses notes, laissant une de ses feuilles s’échapper au vent.

- Décidemment… Partout où je vais, tu es là… Lui reprocha le roux d’une voix lassée.

Il se massa le cou, afin de souligner son agacement. Elle se leva alors avec précipitation, lui lança un regard furieux puis ramassa sa feuille. C’était plutôt à elle de dire cela. Elle ne demandait rien à personne, elle cherchait simplement un coin tranquille et il apparaissait, à chaque fois. Elle soupira à son tour puis retourna vers sa serviette où elle rangea avec soin sa feuille envolée. Puis commença à emballer ses affaires.

- Tu pourrais répondre.

Un autre regard furieux se posa sur le roux. Elle n’avait pas à lui parler si elle n’en avait pas envie ?! Il n’y avait aucune loi qui lui interdisait le silence ! Main sur la hanche, elle le toisa d’un regard froid. Cela arracha un nouveau soupir au trouble-fête qui s’avança vers elle.

- Ecoute… je sais que j’ai pas été sympa avec toi. Elle conserva le silence, sans pour autant le quitter des yeux. Je sais… J’ai eu tort, mais faut mettre ça sur le compte de la timidité.

Elle s’étouffa en entendant cela. Si lui était timide, qu’était-elle alors ? Elle le trouvait totalement abjecte, odieux et impertinent. Pas du tout timide.

- Tu ne me crois pas, c’est ça ?

 Comment le pouvait-elle ? Il fut le premier à venir vers elle et à l’insulter. Elle croisa les bras et le toisa encore plus de ses yeux bleus.

Enième soupir de la part du roux. Il se gratta légèrement la joue de son index, hésitant à sourire. Elle ne lui laissait aucune possibilité de s’excuser. Elle était aussi refermée qu’une huître.

- Je te propose qu’on reparte sur de bonne base.

- Pardon ? Elle papillonna des yeux, stupéfaite.

- Ah ! Enfin le son de ta voix ! J’ai cru un instant que je m’étais trompé de personne !

- Non mais c’est la meilleure !? Vous osez prétendre que je suis celle qui est à blâmer, mais laissez-moi vous rafraichir la mémoire !

- Qui de nous deux est venu perturber l’autre, alors que celui-ci ne faisait que réfléchir et profiter du cadre ? Qui est venu à l’autre et lui a gentiment signifié qu’elle n’était qu’une fille stupide, une bonne vieille blonde ignorante et totalement folle.

- Que… ?!

Le roux écarquilla les yeux de stupeur. Il n’avait jamais dit tout cela. Certes son approche n’était pas des meilleures, mais il n’avait jamais insinué tout cela. Il se pouffa puis se reprit, dissimulant sa bouche derrière sa main. Il pria qu’elle ne remarqua rien.

- Oui ! C’est vous et uniquement vous ?! Alors je vous demanderais de me laisser en paix, et si à l’avenir, nous sommes à nous recroiser, ignorez-moi.

Elle commença à tourner les talons, mais le roux n’en pouvait plus. Il relâcha son souffle et explosa d’un rire tonitruant, se frappant la cuisse. La blonde le regarda alors, outrée, indignée même. Qu’avait-elle put dire de si drôle ? Cela la vexa énormément. Elle tourna alors la tête dans un « Hum » sonore, prouvant sa vexation.

Il arrêta alors de rire, s’essuyant quelques larmes aux coins des yeux. Elle brulait de colère à son encontre. Il ne pouvait que le sentir. D’ailleurs elle était à deux doigts de le gifler. Il reprit son sérieux, en repensant à leur dernière rencontre qui s’était soldée par une baffe monumentale. Sa joue pouvait encore sentir la brûlure que lui infligea la douce main d’Anaïs.

- Tu l’as pris comme ça ?

- Comment aurais-je dû le prendre, selon ? Avec le sourire, peut-être ?

- Pour commencer, oui.

- Qu... ?! Vous vous foutez de moi ou quoi ?

- Non ! Je suis totalement sincère ! Pourquoi j'irais chercher des noises à la première venue ? Faut être taré pour agir comme ça !

Oui, pour elle aussi ce n’était pas normal d’alpaguer les gens de cette manière. Elle prit le temps de réfléchir à leur rencontre. Après tout, il était simplement venu à sa hauteur et lui avait simplement demandé si elle avait besoin d’aide. Mais c’était sa propre réaction qui fut désastreuse. Elle avait pris la mouche, sa timidité la faisant agir et était partie, furieuse. Elle se gratta alors le crâne, gênée par sa propre méprise.

 

- Je crois que tout par d’un malentendu…

- Je crois aussi. Dit-il avec un sourire.

- Pardonnez-moi… Je ne suis pas très à l’aise avec les autres et j’ai donc…

Elle hésita. Qu’avait-elle à se confier ainsi à un parfait inconnu. Mais pour une raison idiote, elle se sentait en confiance devant son sourire et ses beaux yeux. Le rouge monta alors à ses joues, chose qui la fit baisser la tête. Cela accentua le sourire du jeune homme.

- Alors oublions le passé ! Repartons de zéro. Il tendit la main vers elle. Je m’appelle Eloi Leriz.

- Anaïs Vauganne… Dit-elle d’une petite voix tout en acceptant sa main.

- Anaïs… ?!

Son exclamation fit sursauter la blonde qui lâcha un petit hoquet de surprise. Ce n’était pas un prénom si incroyable et extraordinaire alors pourquoi avait-il l’air si perturbé ?

Sans un mot, il dégaina son téléphone et tapa avec une rapidité ahurissant sur son écran, les yeux toujours autant écarquillés. Il psalmodiait des « Impossible », « c’est pas vrai » tout en fouillant dans les pages que lui affichait son téléphone. Un peu anxieuse, Anaïs se permit un regard sur l’écran et hoqueta à nouveau en reconnaissant les couleurs qu’arborait l’écran.

C’était son blog, là où elle postait ses récits depuis déjà deux ans. Elle sentit le rouge monter furieusement à ses joues. Comment pouvait-il connaître cette facette de sa personnalité, de sa vie, alors que même sa famille l’ignorait ?

- Tu connais ce blog ?

- Hum… Non…

Elle décida de jouer l’innocence mais le feu qui lui fardait les joues la trahissait.

- Si, il y a même une photo de toi dessus.

Elle écarquilla alors les yeux et scruta avec frayeur l’écran. Il ne mentait pas ! Comment avait-elle pu atterrir sur son profil. Elle ferma les yeux et trouva immédiatement la coupable –ou les coupables. Azilis et Keiko étaient passées par là, alors qu’elle flânait sur la plage. Elle maudit les deux filles tout en tentant de reprendre contenance devant Eloi.

- Apparemment, ce n’est pas toi qui as posté cette photo.

- Non… j’imagine que ce doit être une farce de ma sœur. Cela le fit sourire. Elle adore ce genre de chose...

- Moui, c’est bien ce que je me suis dit en voyant ça. T’es pas du genre à t’exposer au grand jour.

- Comment pouvez-vous le savoir ?

- C’est simple ! Ça se sent dans les lignes que tu rédiges ?! Chaque personnage est unique, bien entendu, mais ils ont tous une certaine douceur qui te caractérise. C’est peint sur ton visage.

Anaïs piqua de nouveau un fard, devant les propos tendre et si personnel du roux. Elle n’aurait jamais imaginé être aussi transparente que cela. Pour elle, chaque personnage était unique de par son passé, son histoire et les évènements qu’il vit. Mais avec le recul, il lui fallait bien reconnaitre qu’elle y insufflait une partie d’elle-même et de son propre passé.

Elle recueillit une mèche de cheveux folle et la passa derrière son oreille. Elle aurait tant voulu fuir devant cet homme. Mais son corps était comme ancré dans le sable.

- Je ne veux pas t’effrayer mais je lis tes histoires depuis pas mal de temps, maintenant.

- Ah... Ah bon ? Bégaya la blonde, avec un mouvement de recul.

- Oui, depuis le début en fait.

A son tour, Eloi se sentit gêné et mal à l’aise. Anaïs le trouva touchant à se comporter ainsi. Lui qui était si hargneux et confiant dans ses propos, il ressemblait à un petit garçon perdu. Son cœur ne manqua pas de battre plus fort contre son sein.

- Je… je ne sais pas quoi dire…

Il se gratta la joue, signe que sa gêne était aussi grande que celle de jeune femme. Ils restèrent un petit moment à s’observer tous les deux, sans un mot. Elle était magnifique dans la lumière déclinante du crépuscule. L’orange du soleil se mêlait avec délice dans le blond de ses cheveux. Sa peau nacrée reflétait avec pudeur le bleu de la rivière, ressemblant au bleu de ses yeux. Ses taches de rousseur disparaissaient en même temps que le soleil mourait.

Il se racla la gorge, détacha son regard de l’attraction qu’elle était. Tout en elle lui inspirait la beauté. Mais elle n’allait pas lui faire éloge dès leur première rencontre. Il allait assurément passer pour un pervers.

La pluie les surprit alors qu’ils discutaient de leur passion commune qu’était le blog d’Anaïs. Eloi s’avéra un véritable lecteur, étant de ceux qui l’a soutenait dans ses démarches et ses longues pauses. Il avoua s’être lui-même lancé dans ce genre de défi, plus jeune, mais il avait vite réalisé qu’il n’était pas très doué. Anaïs lui assura le contraire, mais, alors qu’il roulait, il ne put s’empêcher de rire et de lui assurer que non. Il avait même poussé l’audace jusqu’à poster son récit à différentes maisons d’édition. Sans succès. La blonde en fut blessée. Elle n’avait pas pour ambition de se lancer dans une telle carrière, mais elle arrivait facilement à se mettre à sa place. Voir ses rêves briser en une simple lettre était tragique et cynique.

Ils arrivèrent rapidement dans un bar du quartier, souhaitant continuer leur débat sur la littérature actuelle. Eloi lui avait alors suggéré ce lieu. Il était tranquille et sympathique. Anaïs n’avait pas pour habitude de suivre le premier venu ainsi, mais elle se sentait en confiance.

Ils pénètrent de concert dans le bâtiment. Anaïs s’attendait à tout sauf à une ambiance country. Les ballots de paille à l’entrée auraient dû lui mettre la puce à l’oreille, mais elle était tellement concentrée dans leur discussion…

Toute vêtue de bois, la pièce avait un charme fou qui plaisait à la blonde. Ses talons claquaient avec rythme sur le parquet, suivant le rythme de la musique qui s’échappait du jukebox.

- Je t’assure que c’est pas si mal que ça !

- Je ne te crois pas ! C’est si vide de sens ! Pourquoi avoir inclus cette romance dans le film ? Je veux dire, je suis la première à aimer les histoires d’amour, mais ça ne reste pas fidèle au livre d’origine.

- Ecoute, si tu ne me crois pas, on a qu’à le regarder ensemble un de ses jours ! Lui lança Eloi avec enthousiasme.

Le cœur d’Anaïs fit un bond, mais elle tenta de contenir sa gêne. Ne venait-il pas de lui proposer un rendez-vous ? Certes de manière indirecte, mais quand même ?! Elle secoua la tête, chassant ses idées stupides de sa tête, puis avec un petit sourire accepta la chaise que lui proposait Eloi.

Assis autour du bar, les deux jeunes gens prirent commande auprès de la barmaid qui s’installa avec nonchalance à leur hauteur.

- Tiens Eloi ?!

- Salut Selma, comment vas-tu ?

- Plutôt bien. Tu t’ai fait rare, dernièrement. Le boulot ?

- Oui, on est sur une grosse affaire avec les collègues.

La brune lui fit qu’elle comprenait puis porta un rapide regard sur Anaïs qui attendait en silence.

- Mon dieu, Eloi ?! Tu oses me tromper ?!

Anaïs sursauta et bégaya des excuses incompréhensibles, le tout joint par des mouvements de mains rapides et indéchiffrables.

- Mais non, Selma. C’est juste une amie. Et arrête de raconter n’importe quoi. Fit Eloi, gêné malgré tout

La barmaid se mit à rire de façon joviale et entama la confection des boissons sous les mines gênées de ses deux clients.

- Ne l’écoute pas Anaïs. Selma adore faire ce genre de blague. Anaïs hocha la tête, montrant son assentiment. Franchement, pour quoi je vais passer, à cause de toi. Soupira Eloi.

- Allons, allons. Tu sais bien que c’est simplement pour rire, et que je suis mariée de toute façon.

- Oui, d’ailleurs, comment va Tom ?

- Bien, bien. Il est parti voir ses parents. Sa mère est à l’hôpital.

- Oh ? Rien de grave j’espère ?! 

- Une simple indigestion, mais tu sais comment ça peut tourner avec les personnes âgés…

Eloi lui fit signe que oui. Ils continuèrent à discuter de tout et de rien, Anaïs sirotait son cocktail dans le silence le plus complet. Elle apprit cependant qu’Eloi était une personne sympathique et taquine. Enfantine par certains aspects. Elle prit congé, devant aller aux toilettes.

En en sortant, elle croisa Yoric qui se dirigeait vers la sortie. Elle l’appela et le rejoignit, la bouche en cœur. Elle n’avait pas encore eu l’occasion de le féliciter pour la naissance de son fils, Tanguy.

- Merci Anaïs.

- Jessica va bien ?

- Elle se remet doucement. L’accouchement en lui-même fut simple, mais le travail a duré très longtemps. Ca l'a épuisé.

- Et toi ? Tu te sens comment ?

- Ah ! C’est difficile à décrire… Mitigé entre la fierté, le bonheur et la peur.

- La peur ? S’étonna franchement la blonde.

- Tu sais bien qu’avec Jessica, on avait pas planifié tout ça. Le mariage, un enfant. On est un jeune couple. J’aurais aimé profiter de notre vie à deux.

- Je vois…

Anaïs n’arrivait pourtant pas à comprendre son petit frère. Certes, elle concevait son désappointement, mais la venue d’un enfant était une telle merveille.

- Ecoute, si un jour tu es fatigué, tu peux toujours nous le confier, tout petit bout !? Je suis sûre que les parents adoreraient ça, pouponner de nouveau.

Yoric lui sourit et la remercia avant de la saluer. Il devait rentrer chez lui, il était simplement venu ici pour boire un verre avec un collègue afin de régler quelques problèmes au travail. Sa carrière politique lui prenait énormément de temps et Anaïs était prête à le soutenir dans sa vie de famille.

Au départ de Yoric, Eloi la rejoignit. Il avait assisté à l’échange de loin, mais un de ses sourcils étaient abaissé. Il n’avait pas la teneur de la conversation, ni les liens qui unissaient les deux jeunes gens, mais la voir si souriante avec un autre homme l’énervait en tout point. D’un geste brusque et sans un mot, il l’entraîna à sa suite, à l’étage.

Ils s’assirent dans les fauteuils en cuir de l’étage. C’était une pièce lumineuse et spacieuse permettant à de grand groupe de se réunir. C’était calme, loin de la musique bourdonnante du rez-de chaussée. Eloi soupira avec aise, laissant s’évanouir sa frustration. Anaïs le fixa avec curiosité.

- C’est reposant ici. Dit-elle simplement.

Eloi la scruta, rassuré. Elle ne semblait pas avoir remarqué son état précédent. Il se détendit alors, et lui proposa un autre verre. Elle accepta avec courtoisie. Mais elle n’était pas très sûre d’elle. Le précédent verre l’avait déjà bien enivrée, peu habituée à la boisson. Mais elle ne se voyait pas lui refuser.

- Oui, c’est pour ça que j’aime bien cet endroit. C’est peu fréquenté, c’est vrai, mais c’est parfait pour les rendez-vous inti….

Il s’arrêta sur le mot "intime". Après tout, ils ne se connaissaient pas depuis assez longtemps pour se qualifier d’intime ou ne serait-ce qu’ami. Anaïs le dévisagea, un léger sourire sur les lèvres. Elle devina le sujet de sa gêne et cela l’amusait. D’ordinaire, elle aurait piqué un fard et aurait fui, mais pas ce soir. Pas avec lui. C’était un étrange sentiment qui la tenaillait. Ou alors c’était l’alcool… Elle n’aurait su le dire.

Elle but les dernières gorgées de son cocktail d’une traite, paniquant Eloi, puis se levant rapidement. Elle l’invita à son tour à le suivre. Il paniqua en la voyant tanguer sur ses talons haut dans les marches de l’escaliers. Elle trébucha à la dernière, riant bêtement devant sa maladresse, puis reprit son marche vers la piste de danse. La musique était rythmique, vivante et dynamique, sans pour autant être violente. Elle adorait cela.

Tous en riant, telle une enfant, elle entama quelques pas de danse un peu maladroit, sous le regard amusé d’Eloi. Anaïs dansait avec élégance et vivacité. Elle qui était si calme et si posée d’ordinaire, elle pétillait de vie.

“Lady Grey, you tell a smile

What is your secret, what's your lie?

You lived a long, hard life

Your memory may fade, but you're still wise

I wonder where you've been

What you've accomplished, what you've seen

In such a long, hard life

Did you ever dance, were you someone's wife?”

"Take me, take me away

Way back to the days when you were

Crazy, crazy for living

Oh, sweet twenty-nine

And you looked fine

And you looked fine”

D’un geste de la main, elle invita Eloi à la rejoindre. Toujours amusé, le jeune homme ne se fit pas prier, entrant dans la danse avec délectation. La voix d’Anaïs se superposa sur celle des chanteuses. Elle était tout aussi harmonieuse, bien que plus fluette mais avec la voix d’Anaïs, les paroles prenaient leur sens. Les morts parlaient au jeune homme.

“Lady Grey, dressed up so nice

Where do you go when you close your eyes?

Do you hear the words I say

And can you remember yesterday?

What do you comprehend?

Can you even feel me in your hand?

Lady Grey, with your knockout smile

Hoping you feel it was worth the while”

C’était exactement ce que ressentait Eloi. Lorsqu’elle souriait, Anaïs éclairait la pièce, elle oubliait ses tourments passés. Elle détruisait ses doutes et ne faisait qu’enflammer ses sens. Elle était un petit soleil chaleureux dans son propre univers tourmenté. Il n’avait qu’une envie : la sauver et la voir éternellement sourire.

“Has withered your hands, but still your smile

Is as sparkling as way back when

You broke the hearts of all young men

Lady Grey, when I see you now

Sick in your bed, but still you smile

When you hear the music play

Wonder how it would be if you could...”

La chanson mourut, laissant place au son agonisant du vinyle. Crépitant, et usé. Il n’était l’unique source sonore de la pièce. Anaïs s’était tue, elle aurait pourtant adoré continuer à chanter et à danser, mais le corps d’Eloi la paralysait. Elle était entravée dans ses bras, et ses chaînes étaient scellées par un baiser rude que lui infligeaient les lèvres du jeune homme.

Eloi rouvrit les yeux et planta son regard dans celui de la blonde. Elle était confuse, rouge d’embarras et fébrile sur ses jambes. Son souffle était court et saccadé. Cela existait les sens du roux qui ne la lâcha pas. Il avait peur qu’elle ne chute, mais c’était surtout une envie. Il ne souhaitait couper court à son étreinte. La chaleur de la blonde, son parfum, la saveur de ses lèvres, la douceur de sa peau. Il avait envie de tout, de plus qu’un simple baiser. Et le regard embué qu’elle lui offrait brisa ses résolutions. Il lui prit alors la main mais il fut étonné de la tournure que prit la situation.

Elle l’avait attiré à sa suite, dehors. Leur souffle chaud se transformait en vapeur, l’automne était désormais bien installé. Mais ils en avaient cure. Anaïs s’empara avec passion des lèvres enfièvrées d’Eloi. Elle en avait envie, pourtant sa raison lui hurlait d’arrêter mais elle ne pouvait s’en empêcher. Son corps la controler, à l’instar de son cerveau. Son cœur lui hurlait d’arrêter tout en la suppliant de continuer.

De prime abord étonné, Eloi se laissa faire, partageant l’exploration bucale de la demoiselle avec passion et envie. Il pouvait sentir sa propre excitation grandir contre le corps brûlant de la blonde. Elle enflammait ses sens plus que de raison. Il se savait sur le point de nos retours. Il eut beau essayé de briser leur échange, Anaïs le persuada de continuer –non sans grand mal.

Elle l’entraîna avec elle dans un des ballots de paille, et sous couvert de la chaleur et de la discretion que leur offrait la nature, ils se découvrirent avec intensité, passion. Parcourant le corps de chacun, baisant chaque parcelle de peau de l’autre, goûtant et savourant avec gourmandise le goût de son partenaire, ils unirent leur corps et leur âme dans une étreinte chaleureuse.