Episode 10

Le temps passa lentement pour Angéline. Son voyage fut un véritable calvaire pour son coeur. Elle avait quitter Jolan sans un mot, ni une adresse. Elle avait heurté le coeur de cet homme déjà meurtri, mais elle ne pouvait faire autremement. Ses espoirs étaient réduits à néant et jamais elle ne pourrait retrouver son humanité, sa mortalité. Elle était condamnée à vivre pour l'éternité à voir mourir ses proches.

Elle n'attendait pas un accueil chaleureux par ses proches. Après tout, elle était partie, une fois encore, comme une voleuse : sans un mot, sans une adresse. Mais ce qu'elle découvrit lui déchira le coeur. Leur maison avait disparu, laissant le terrain vide de vie. Elle avait alors reçu un sms de Guenièvre qui lui indiqua leur nouvelle adresse. La petite avait travaillé son don et avait pu sentir la présence de sa tante même après tout ce temps. Alors Angéline s'était rendue chez Aurélianne mais la réception fut explosive.

Elle lui reprocha son départ, son comportement et le pire de tous : la mort de leur mère. Angéline n'arrivait pas y croire. Anaïs était en pleine santé et avait encore une longue vie devant elle. Mais non... Elle la croyait tout aussi immortelle qu'elle. Or Anaïs était une vieille femme, humaine et mortelle.

Angéline ne put même pas franchir le seuil de la maison d'Aurélianne, qui lui cracha au visage qu'après la mort de leur mère, elle avait décidé de raser la maison car cela lui était insuportable puis elle lui claqua la porte au nez.

Angéline se retrouvait donc seule à Meadow Glen, ne possédant qu'un terrain vague et deux tombes en guise de famille. Aurélianne ne supportait pas ces tombes alors Angéline les emporta avec elle. Eloi et Anaïs ne devait en aucun cas être séparés. Ils méritaient de vivre, à l'image de leur vie, ensemble et à jamais.

Le feu crépitait aux pieds d'Angéline qui soupira et retint un énième sanglot. Elle avait pris l'habitude de pouvoir pleurer, d'être à nouveau plus humaine, mais depuis son départ de Dragon Valley, elle perdait cela, même si sa tristesse restait intacte, elle.

C'était l'automne mais il faisait aussi froid qu'un hiver enneigé. Elle remercia, malgré tout, ses pouvoirs de vampire mais la morsure du froid et la caresse du vent lui manquait cruellement. Elle donnerait si cher afin de pouvoir les sentir ne serait-ce qu'une fois.

Elle se leva et tituba devant les tombes de ses parents. Elles étaient désormais son unique pilier, son unique phare parmi les ténèbres. Elle ne pouvait se tuer mais elle pouvait portait une croix, un fardeau. Une espèce de rédemption inutile mais qui soulageait sa conscience.

- Maman... Papa... je suis désolée... Je n'aurais jamais dû naître. Je n'aurais jamais du voir le jour dans notre famille. Je suis différente et cette différence me tue comme elle a assassiné mes liens avec mes frères et mes soeurs.

Une larme perla de ses yeux pour se cristaliser rapidement avant de mourir sur son genou. L'impact, elle ne s'en soucia aucunement, elle continuait de parcourir de ses doigts froid la plaque où le nom d'Anaïs était gravé.

- J'ai manqué vos dernières années, et votre dernier souffle. Comment pourrais-je encore me faire appeler Vauganne. Je suis indigne de vos et de cette famille.

Elle frappa le sol, avec rage. Enervée contre elle même et sa faiblesse. Elle avait fait tant souffrir autour d'elle. Son père, sa mère, sa soeur et même sa petite Guenièvre adorée. Elle était un monstre. Oui, un monstre.

- Un monstre...

Elle se rappela alors de la voix de Jolan lorsqu'il l'appelait ainsi. Et il avait raison. Un monstre, elle l'était mais pas à cause de sa nature vampirique mais de son comportement. Elle avait perdu espoir en elle et de peur de faire du mal à sa famille, elle s'était éloignée.

Mais en agissant ainsi, elle les avait blessé, bien plus profondément que si elle les avait attaqué ou encore avoué la vérité. Alix était au courant tout comme Cyprien et pourtant, ils ne l'avaient jamais jugé. Au contraire, ils l'aidèrent.

Elle serra les dents comme les poings et supplia du regard ses parents de lui pardonner et ne pas lui retirer leur amour. C'était désormais tout ce qu'elle possédait. Son coeur était aussi vide que son terrain. Son corps était une tente, son éveil éternel un feu de camp et sa soif de sang sa punition.

Une belle matinée se présenta à elle, malgré l'automne. Le soleil lui brûlait la peau mais elle n'avait peu d'endroit où se réfugier et elle en avait plus qu'assez de rester enfermée dans sa tente. Elle avait mal aux jambes et ne souhaitait qu'une chose : marcher. Elle ouvrit alors la tenture d'un geste rapide puis sortit de sa maison de toile, tout en s'étirant. Elle aurait aimé bailler mais elle n'en ressentait pas le besoin. C'était plus par nostalgie. Bras en l'air, elle aperçut une silhouette du coin de l'oeil. Mais lorsqu'elle la reconnut, son souflle lui fut arraché.

Sans un mot, elle préféra prendre ses jambes à son cou mais l'intrus fut plus rapide qu'elle et la rattrapa. Chose qui était bien étrange mais au plus profond d'elle, elle souhaitait que ce jeune homme la rattrape. Elle tenta cependant de se débattre mais la voix enragée du brun la statufia. Elle pouvait sentir sa colère à travers l'emprise de sa main sur son épaule.

Un étrange silence c'était installé entre eux. Elle ne bougeait plus, ses gestes suspendus dans le temps, tout ne semblait se mouvoir, mais les battements du coeur de Jolan étaient bien vivants, eux.

- Je te trouve enfin !

- Jolan je...

- Pas d'excuse, Angéline ! Tu crois que je vais te pardonner si facilement.

Non, bien sûr que non. Qui le pourrait ? Elle même elle ne le pourrait pas. Être abandonné, laissé en arrière, elle ne le souhaitait à personne mais elle ne pouvait faire autrement, au vue de sa nature. 1080

- Je croyais que je pouvais te faire confiance... Mais non...

La voix du jeune homme était réduite en un murmure et était empreinte d'une tristesse profonde. Elle pouvait sentir ses mains trembler sur ses épaules. Cela lui serra le coeur et de ses canines pointues, elle se mordit la lèvre.

- S'il te plaît... Lâche-moi... Le supplia t'elle.

Elle ne pouvait lui faire face. Elle devait s'éloigner de lui. Voilà des semaines qu'elle n'avait rien avalé, elle était affamée et son amour pour lui attisait son envie de plonger ses canines dans sa gorge et s'abreuver jusqu'à la dernière goûtes de sa source de vie.

- Te lâcher ? Pour que tu t'enfuis à nouveau ?

Elle baissa le regard, honteuse et malheureuse. Il ne comprenait pas, elle n'avait pas le choix malgré son désir de rester près de lui. Son odeur naturelle, cette légère fragrance de sapin qui enveloppait ses cheveux bruns, son haleine, tout en lui attirait la jeune femme.

Il la fit pivoter afin de lui faire face et sa poigne sur les épaules d'Angéline l'ogligea à relever la tête.

- Tu ne comprends pas... Je suis dangereuse...

- Et tu crois que je ne suis pas au courant ?! Merde Angéline, je connais ta nature, je t'ai vu affronter Lennart et tu veux me faire passer pour un idiot ?!

- Non, je...

- J'en ai assez de tes excuses.

La voix enragée de Jolan la fit trembler. Elle avait peur certes, mais plus encore, elle était peinée par la tristesse dans sa voix. Elle voulu détourner son regard du sien mais il l'obligea de nouveau à lui faire face.

- Tu n'es qu'une égoïste ! Elle ne pouvait le contredire. Sais-tu pourquoi je t'ai confié l'histoire de ma soeur ?

Elle secoua la tête. Elle ne le savait pas et elle ne le saurait jamais. Elle tenta de se dégager de son emprise mais le jeune homme l'entoura de ses bras, la capturant avec force. Surprise, elle sursauta et se pencha en arrière.

- Merde, Angéline ! J'ai fait beaucoup de kilomètres pour te retrouver et toi, tu veux fuir ? Me laisser de nouveau derrière toi ?

- Jolan... Tu me fais peur...

Sans un mot, il captura ses lèvres et l'embrassa avec force. C'était un baiser dénué de sentiment, une espèce de manière de la faire taire et de lui dire qu'il était plus fort qu'elle. Elle tremblait dans ses bras, il le sentait mais il n'avait pas d'autre moyen. Il ne savait comment agir avec elle. Lui qui était d'ordinaire posé et calme, elle avait le don de le faire sortir de ses gonds et d'agir comme un idiot.

Il se sépara de ses lèvres douces et enivrantes. Il y avait goûté une fois, lors de sa capture et cela lui avait cruellement manqué. Il n'avait jamais imaginé qu'un jour il serait dépendant d'une femme et surtout pas d'une femme comme elle. Elle avait chamboulé sa vie lorsqu'elle pénètra sur sa propriété et désormais, il ne pouvait la savoir hors de sa vie.

Elle pleurait et hoquetait avec douleur. Peiné lui aussi , il la prit dans ses bras et la berça comme il aurait bercé un enfant. Elle était tremblante et gelée.

- Je suis désolée... Je voulais... Je...

Il lui caressait les cheveux et lui demanda de se taire avec gentillesse. Il avait besoin de savoir mais cela pouvait attendre. Il ne souhaitait qu'une chose : la sentir contre lui et s'assurer que cette fois-ci, ce n'était pas un rêve.

Ils avaient pris le temps de se retrouver et de discuter. Même si ce fut timide, Angéline put lui dire que c'était pour le protéger qu'elle était partie ainsi. Jolan l'écouta, sans dire un mot mais il savait que c'était difficile pour elle. Et qu'il ne pourrait jamais comprendre ce qu'elle ressent réellement. Elle avait vu sa vie basculer et elle n'avait jamais pu tourner la page, contrairement à lui. Même s'il n'oublierait jamais sa soeur et sa nièce, il était toujours lui.

Mais l'heure n'était plus à leur retrouvaille car Angéline avait reçu un sms de Guenièvre qui lui demandait de venir la voir. Elle avait longtemps hésité mais Jolan lui assura qu'il serait avec elle et que tout irait bien. Ils allèrent donc chez Aurélianne qui habitait désormais à l'autre bout de la ville. A l'aide de son héritage, elle put construire une belle maison aux allures modernes et bien plus pratiques pour élever ses filles. 1093

Guenièvre était là, devant la porte, bras nus dans le froid. Elle se frottait les bras en quête de chaleur lorsqu'elle aperçut sa tante. Un immense sourire se dessina sur ses lèvres puis elle s'élança dans ses bras. Angéline la réceptionna avec difficulté mais était heureuse de retrouver sa nièce. Elle ne l'avait pas vu depuis plus de deux ans et la petite fille avait laissé place à une jeune fille pleine d'énergie et magnifique.

- Tante Angéline !

- Oh Guee... Je suis désolée...

- Ne t'en fais pas, je sais pourquoi tu as agis comme ça, Tante Angéline.

Ces mots touchèrent Angéline au plus profond de son être. Elle sentit ses yeux s'humidifier mais un sourire naquit sur ses lèvres.

- Et bien... Ne serait-ce pas ma très chère soeur que je vois là ?

Cette voix sarcastiques fit sursauter les deux jeunes femmes qui se retournèrent d'un bloc. Aurélianne et son mari Milan étaient là, chacun tenant une de leur fille. Elaine et Célice avaient grandit elles aussi.

- Je croyais t'avoir dit de ne plus revenir ici.

- Je...

- Maman ! C'est moi qui l'ai invité et tu parles sans connaître la vérité.

- Pff... la vérité ? Mais je la connais voyons : ma soeur n'est qu'une lâche et une assassin. Elle a tué ta grand-mère et et toi tu l'accueuilles les bras ouverts ?

- Mais Maman...

- Il n'y a pas de "mais" Guenièvre. Elle n'est pas la bienvenue ici.

L'adolescente gonfla ses joues, de colère, puis d'un simple geste de la main, elle demanda à Angéline d'entrer, sous le regard foudroyant de sa mère avant de la suivre à l'intérieur.

Aurélianne soupira puis échangea un regard avec son époux qui souriait. Elle savait sa fille bornée, mais pas à ce point. Aurélianne savait pertinnemment que son comportement était injuste envers sa soeur, car cette dernière souffrait également de la disparition de leurs parents mais elle était en colère et devait reporter sa peine sur quelqu'un. La petite Elaine, qui était dans ses bras, éternua ce qui fit ramener à la réaliter sa mère.

- Venez, entrez vous aussi, Monsieur.

- Merci... Je ne voudrais pas m'imposer.

Milan lui sourit et lui fit savoir qu'il n'en était rien. Rassuré, le jeune homme suivit le couple qui se tenait l'un à côté de l'autre et était prévenant avec l'autre. Cela le fit sourire tristement, se sentant jaloux de cet amour solide et bienveillant.

A l'intérieur, Angéline se sentait bien. Cela la troublait car elle se sentait comme chez elle, comme il y a dix ans. L'intérieur était simple et chaleureux, à l'image de ses parents. Aurélianne avait, à son insu, gardé cette atmosphère qui collait à la peau de leur famille.

- Tante Angéline ?

La petite voix de Guenièvre la fit revenir à la réalité, elle se tourna et fixa sa nièce avec un petit sourire. La blonde lui fit signe de la rejoindre, chose qu'elle fit, curieuse.

- Tu sais... Maman... Elle t'aime, tu sais ?

- Je sais, Guee... C'est juste sa façon de me le montrer... Il lui faudra du temps pour me pardonner.

Tout comme il lui en faudra pour se pardonner elle même. Angéline soupira puis observa avec curiosité Guenièvre qui farfouillait dans un sacà ses pieds. Elle en sortit une bouteille, triomphante et fière d'elle.

Elle lui tendit l'objet avec un sourire tandis qu'Angéline la fixait sans trop comprendre. Cela fit rire l'adolescente qui referma les doigts de sa tante sur la bouteille.

- Je t'avais promis de t'aider, non ?

Angéline était perdue. Que signifiait cette bouteille ? Qu'était-elle ? A quoi pouvait-elle bien servir ?

- J'ai pris beaucoup de temps et d'énergie pour réussir à la créer, tu sais ?

- Mais qu'est-ce que c'est ? Demanda Angéline, toujours aussi perdue.

- Ta solution.

Puis sans un autre mot, Guenièvre la dépassa et alla rejoindre sa famille, laissant une Angéline déboussolée et sans voix.

Plus tard, alors que la nuit allait bientôt naitre, Angéline était assise sur la plage jouxtant son terrain. Elle était là depuis des heures, ne sentant plus le froid. Elle était en proie de doute. Elle qui avait tant espèré pendant tant d'année. Elle qui avait tant cherché... Elle détenait enfin une solution à son problème ? C'était bien trop difficile à croire.

La bouteille jonchait contre son flanc. Elle avait besoin de sentir son contact, afin de s'assurer que ce n'était pas un rêve. Guenièvre n'était pas une menteuse mais la vampire remettait en doute ses paroles. Elle n'avait pas envie, encore une fois, de goûter à la désillusion. Son coeur ne le supporterait pas.

- C'est donc ici que tu te caches ?

Jolan s'avançait vers elle, tranquillement. Elle pouvait l'imaginer, marcher les mains dans les poches, un léger sourire sur les lèvres. Elle n'était pas surprise de le trouver là car elle avait senti son odeur. Elle ne le regarda pas, le regard figé sur le sable blanc se trouvant à ses pieds.

Il s'installa à ses côtés, passant un bras par dessus ses épaules et lui baisa le crâne. Sa faible chaleur iradia dans tout le corps d'Angéline qui frissona de plaisir. Ce simple geste de la part de cet homme l'ébranlait au plus haut point. Elle détourna le visage, tâchant de ne pas dévoiler son trouble à Jolan.

- Tu es encore partie sans rien dire.

- Je sais...

- Ta soeur est entrée dans une colère noire.

Cela fit légèrement rire Angéline qui se gratta la tête avec gêne. Aurélianne était impressionnante lorsqu'elle était en colère, elle était heureuse et à la fois gênée d'avoir loupé cela.

- Je suis désolée... J'ai pas réfléchi...

- C'est à cause de cette bouteille que ta nièce t'a donné ?

- Comment tu le sais ? S'étonna Angéline.

- Elle m'en a parlé. Elle s'inquiète pour toi, tu sais ?

- Guenièvre est bien trop gentille... Elle ne devrait pas se soucier de moi.

- Qui le ferait ? Tu ne le fais pas toi même, Angéline.

Cette réponse fit sourire avec amertume la demoiselle qui lorgna sur la bouteille. Guenièvre avait mis son énergie, son coeur et son amour dans la préparation de cette potion. Voyant l'objet de son attention le jeune homme prit le menton de la belle et plongea son regard dans le sien.

- Tu ne vas pas reculer, Angéline. Pas maintenant alors que tu te bats depuis tant d'année contre ça.

- Tu dis ça parce que tu déteste cette... mon espèce.

Jolan soupira puis regarda le sable à son tour. Il pouvait comprendre son ressentiment mais il ne pensait pas ainsi. Plus maintenant... Mais il l'avait tant de fois traité de monstre et d'assassin... Il pinça ses lèvres, honteux de son comportement. Il sentit une main glacée se poser sur la sienne. Angéline le fixait avec inquiétude.

- J'ai été stupide... avec toi, Angéline.

- Pas plus que moi. Tu sais Jolan, j'ai la capacité de lire dans les pensées. Enfin pas totalement, mais je devine facilement ce que les autres ressentent. Mais je suis allée vers toi, malgré ta colère et ton mal être, je t'ai forcé la main... De ça, je ne suis pas fière mais...Mais...

Un doigt sur ses lèvres la fit taire. Jolan la regardait avec un sourire aimant et calme. Il savait pertinement qu'elle avait agit en désespoir de cause. En silence, ils s'embrassèrent, pour seuls témoins le vent et la mer qui chantaient avec douceur.

Peu de temps après, debout à fixer la mer, le couple s'enlaçait avec affection et soulagement. Angéline avait but la potion de Guenièvre et avait attendu que le produit fasse effet. Chose qui arriva quelques minutes plus tard. Elle ne sentait plus la morsure du soleil mais apprécier de nouveau sa fine caresse. C'était l'automne et donc sa chaleur était moindre cependant la jeune femme savourait sa caresse avec bonheur. Elle pleurait, heureuse de pouvoir retrouver son humanité.

Jolan était là, avec elle, et lui avait tenu la main, en silence. Aussi impatient qu'elle et anxieu. Si le breuvage n'avait fonctionné, la belle aurait été dévasté et aurait commis des choses inexcusable. De cela il en était persuadé.

Peau contre peau, Jolan pouvait sentir la mince chaleur émaner du corps d'Angéline. Son coeur battait de nouveau, le sang circulait avec frénésie dans ses veines. Elle en hurlerait de joie mais les sanglots qui étraignaient sa gorge lui coupait tout son. Elle pleurait, en silence, blottie profondément dans les bras de Jolan.

- Bon retour parmi nous, Angéline.

Elle secoua la tête, puis fixa l'horizon avec un immense sourire aux lèvres, la tête légèrement callée dans le creux du cou du jeune homme.

La nuit n'allait pas tarder à tomber et Angéline était affamée. Son ventre gargouillait enfin depuis des années. Elle chercha un bon moment avant de comprendre qu'elle avait faim. Cela fit rire Jolan un long moment, alors que le rouge colorait les joues de la jeune femme.

- Ca suffit... pestait-elle, tandis qu'elle plongeait sa pique dans les flammes.

Mais cela ne faisait que redoubler l'hilarité de son compagnon. Il la trouvait attendrissante et mignonne, car malgré son âge, elle restait innocente.

Le silence retomba un instant, laissant seulement les crépitements du feu s'exprimait sur l'immense terrain vide. Elle fixait, muette, les flammes danser avec frénésie. Elle ferma les yeux et apprécia leur chaleur. C'était une chose réconfortante et apaisante. Il n'y avait plus de ténèbres autour d'elle, plus de froid et de silence. Son coeur battait, son corps était chaud et la vie se manifestait dans tout son être. Elle leva sa pique et examina sa tomate. Elle amena le fruit à ses lèvres et mordit dedans avec précaution - mais un précaution avortée car elle était impatiente de manger de nouveau.

Le jus de la tomate dégoulina dans sa bouche, émoustillant ses papilles et sa langue caressa avec bonheur le goût unique du met. Jolan la regardait mâcher, en silence lui aussi. Il n'y avait rien à dire, elle devait profiter de cette nouvelle naissance. A son tour, il sortit la pique du feu et examina son marshmallow brunit. Il souffla dessus et voulut l'engouffrer dans sa bouche mais il sentit un regard sur lui. Il releva le sien et vit qu'Angéline le fixait avec elle. Cela fit trésauter son coeur un instant.

Mais il comprit rapidement que ce n'était pas lui qu'elle fixait ainsi, mais sa nourriture. Avec un petit soupire et un sourire, il tendit sa pique qu'Angéline s'empressa de prendre et elle avala sa pitance avec empressement. Tant qu'elle se brûla la langue. Elle toussa et cela fit rire Jolan.

- C'est pas drôle !

- Alors heureuse de retrouver tes sens ? Se moqua gentimment le jeune homme.

Elle le foudroya alors du regard puis le rejoignit dans son hilarité. Elle se sentait bête d'agir ainsi, comme une affamée désespérée. Mais elle salivait pour tout et n'importe quoi, tant que cela restait comestible. Elle débordait d'envie de goûter à tout ce qui lui a fait défaut depuis tant d'années.

- Ca fait mal...

- Mais tu es heureuse. Elle fit signe que oui.

Elle se leva et tourna le dos à son compagnon. Elle fixa alors le ciel qui se violacait pour la nuit. Elle s'étreignit et soupira. Elle n'aurait jamais espéré un jour pouvoir de nouveau goûter à des joies aussi rudimentaire.

- J'avais perdu espoir, Jolan. Après ce soir-là... après notre combat contre Lennart...

A la mention du vampire, Jolan la rejoignit et la força à lui faire face. Mais il s'étonna de la voir souriante et non en larme comme il le croyait. Angéline était une femme forte -ou du moins tentait de l'être- car même si elle souriait, ses yeux, eux, pleuraient.

- J'ai eu beau le brûler, j'ai toujours l'impression qu'il va revenir. C'est pourquoi j'ai hésité lorsque Guenièvre m'a donné la potion. Si je redevenais humaine, comment aillais-je faire pour protéger les gens que j'aime ?

Jolan la prit contre lui, et lui caressa le dos, comme pour la rassurer. Elle se laissa couler dans son étreinte, y trouvant du réconfort.

- Moi j'ai foi en toi, et même humaine, tu sauras t'en sortir. Et puis, tu n'es pas seule Angéline. Je suis là, et je resterais aussi longtemps que tu le voudras.

Ces mots touchèrent le coeur deu la jeuen femme qui sentit les larmes lui venir. Elle se mordit la lèvre et s'estima heureuse qu'il ne voit son visage. Elle devait offrir un spectacle bien étrange : une expression mêlant la joie, la peur et la tristesse devait déformer son visage. Elle reprit contenance, mais ne croisa pas le regard de Jolan lorsqu'elle se défit de son étreinte.

- Il se fait tard. On devrait aller dormir. Lui proposa Jolan.

- Je... J'ai une chose à faire avant.

Il lui lança un regard empli de suspicion mais il ne dit rien. Il acquièça et se dirigea sans un mot vers la tente avec ses chiens.

Elle s'assura que Jolan ait refermé la toile puis elle dégaina son téléphone. Tremblante, elle composa un numéra et mena son téléphone jusqu'à son oreille. Il était près de vingt-trois heures et savait qu'elle détestait qu'on appelle si tard, mais elle ne pouvait attendre plus longtemps. Elle était la seule qui n'était pas la confession. L'unique membre de sa famille qui était restée dans le flou. Alix, Aslinn, Cyprien et Adam -qui avait des suspicions- connaissaient son secret. Elle s'était reposée sur eux la laissant de côté.

La sonnerie résonna un nombre de fois qui semblait infini pour Angéline. Elle sentait son coeur battre, tant qu'il lui était difficile de respirer. Elle était stressée, mais elle ne pouvait faire marche arrière.

- ... Oui ?

La voix de son interlocutrice était froide et distante, cela fit monter les larmes aux yeux d'Angéline.

- C'est moi... Répondit cette dernière avec peine.

- ... Qu'est-ce que tu veux ?

- Aurélianne, il faut qu'on parle.

- Je n'ai aucune envie de t'écouter.

- Je t'en prie. Le ton d'Angéline était implorant. C'est important. Je dois te le dire... Te laisser dans l'ignorance depuis tant d'année est une vraie souffrance.

Elle entendit Aurélianne soupirer puis un bruit de porte. Elle comprit que sa soeur quitter une pièce afin de s'installer plus confortablement et surtout : seule. La télévision ne criait plus en arrière-plan et cela soulagea Angéline car cela lui montrait qu'Aurélianne était prête à l'écouter.

- Alors cette vérité ?

- C'est difficile à dire... Tu vas me prendre pour une folle, mais Aurélianne... Je suis de nouveau humaine.

Le silence fut sa seule réponse puis un nouveau soupire de la part de sa soeur. En entendant cela Angéline ferma les yeux et pria pour qu'elle ne lui raccroche pas au nez.

- ... Et si tu commençais par le commencement ? Un bon film ne démarre jamais par la fin.

Cette petite boutade fit verser une larme à Angéline qui accepta avec délice et entama son récit. Elle avait un jour rencontré un homme, lors de ses vacances avec Alix à Isla Paradisio. Cet homme profita de son état d'ébriété et la transforma une chose peu naturelle. Une morte-vivante parasitaire qui vivait du sang des autres. Et pendant dix ans, elle avait lutté contre sa nature, son envie insatiable de sustenter. Puis elle partit, en quête de réponse, d'un remède. Ce qu'elle trouva ? Des désillusions, de nouvelles cicatrices et une raison de fuir à nouveau. Elle lui parla également de son retour à Meadow Glenn et de sa découverte de la disparition de leur demeure, de leur mère. Et enfin, de sa libération.

Aurélianne avait écouté, sans mot dire puis à la fin de récit, elle n'offrit qu'un "Hum" désabusé, avant de raccroché. Cela dévasta Angéline qui resta un long moment, les bras ballants, tenant son téléphone dans une main, la tête vers le ciel, les yeux rivés sur la lune ronde et pleine. Elle savait qu'elle ne la croirait pas, qu'elle agirait de cette façon. C'était Aurélianne... Mais elle devait laisser le temps au temps. Elle décida alors de rejoindre Jolan, l'esprit légèrement apaisé. Elle cesserait de mentir.

Episode 11

L'automne s'installait de plus en plus faisant fuir les derniers vestiges de l'été. Le rouge des feuilles tapissait l'horizon et bordait la ville d'une atmosphère reposante et ralentie. Le temps était clair pourtant, malgré cette saison de pluie, la lune ronde se laissait avaler par la mer au fils des heures. La nuit, tout comme l'été, laissait de bonne grâce le jour prendre sa place. Mais le soleil avait beau réchauffer la terre, le froid persistait.

Alors Jolan et Angéline puisèrent dans leur faible économie afin de se construire un toit. L'automne fut donc témoin des premières fondations de cette demeure sans prétention qu'ils cherchaient à créer ensemble. Le jeune homme ne semblait pas enclin à repartir et Angéline, pas du tout prête à le laisser s'envoler. Ils étaient heureux, ensemble.

C'était une petite maison, conservant le strict minimum. Faites de briques et de poutres, ils souhaitaient une maison à l'allure campagnarde. Ils espéraient très prochainement agrandir cette maison de trois pièces. Mais pour le moment ils devaient se contenter d'une cuisine, d'une chambre et d'un salon. C'était bien assez pour eux mais leur salon était converti en une espèce d'atelier d'art. Angéline avait son chevalet et son bureau alors que Jolan avait récupéré un vieux poste de sculpture.

- Déjà des factures... Cette ville ne sucera jusqu'à la moelle...

La jeune femme soupira tout en signant son chèque. Les factures tombaient bien plus souvent que la pluie. La valeur du terrain avec la maison avait doublé, alors qu'elle ne possèdait pas grand chose. Son compte en banque frisait le rouge.

Elle referma la boite aux lettres, bien heureuse de ne plus voir ces affreuses lettres, mais le cœur lourd de soucis. Le temps avait coulé à son rythme et la maison était enfin terminé. Elle fixa avec joie cette petite maison qui était la sienne. Elle ne regrettait en rien l'immense maison. Même si elle en avait apprécié l'architecture, elle ne l'avait jamais trouvé pratique. Tous ces étages étaient épuisants à grimper chaque jour. Elle comprenait enfin le désarroi qu'elles infligèrent -Aurélianne, Alix et elle même- à leurs vieux parents lorsqu'elles élaborèrent les plans.

Elle poussa la porte d'entrée, laissant entrer la fraîcheur du givre dans la pièce. Elle frissonna, constatant que la température extérieure était bien plus proche de l'hiver que celle de l'automne. Mais ce qui la refroidit bien plus encore fût de devoir avouer que l'intérieur n'était pas plus chaud. Ils n'avaient pas les moyens de brancher le chauffage et la moindre économie était la bienvenue.

Elle soupira puis aperçut du coin de l'œil une masse poilue et brune qui farfouillait sur la table à manger. Son sang ne fit qu'un tour et elle éleva la voix. Tyee glapit de surprise, le museau plein de gaufre. Il baissa la queue et les oreilles lorsqu'il comprit qu'il était pris au piège. Angéline le réprimanda, comme chaque matin.

- Petit Chef ! Je t'ai déjà dit cent fois de ne pas finir nos assiettes !

Le chien, tête baissé, ne fixait la jeune femme. Avec le temps, elle avait apprit à dompter le caractère belliqueux du canidé. Contrairement à sa compagne, Sakari, Tyee était un dominant et un protecteur loyal, mais qu'envers Jolan. Elle n'était qu'une étrangère à sa famille, elle le comprenait et se faire accepter d'un chien agressif et peureux n'était pas une mince affaire.

La porte de la chambre s'ouvrit alors sur Jolan qui d'un regard amusé dépassa Angéline. Chaque matin c'était le même refrain, Tyee se faisait réprimander alors que lui, tout tranquille, faisait son entrée avant de filer vers la cuisine.

Sans un mot pour personne, il se saisissait du paquet de croquette et sagement suivi par ses chiens, il remplissaient leurs gamelles. Angéline, comme chaque jour soupirait puis rejoignait son compagnon à table. Assise en face de lui, elle servit le repas, et attendit qu'il dise quelque chose. Mais comme toujours, rien ne vint de sa bouche. Elle tapotait alors du bout de sa fourchette le bord de son assiette, contenant son irritation.

- Si tu pouvais intervenir de temps à autre, ca serait bien, tu sais ? Lui dit-elle sur un ton lourd de reproche.

Jolan souleva un sourcil et la fixa.

- Il a toujours fait ça. T'arriveras pas à le changer.

- C'est ce qu'on verra ! Le défit elle.

Cela amusa le jeune homme qui piqua à nouveau dans sa gouffre, retenant son sourire. Angéline était adorable a toujours lancer des défis idiots et enfantins.

- Plus sérieusement, Angéline, laisse le faire ce qu'il veut. Nos chiens sont libres, depuis des générations, dans ma famille.

- Je sais... Mais je n'aime pas le voir voler. C'est comme si je n'avais aucune autorité sur lui.

- Il n'a pas besoin d'autorité. C'est un bon chien qui obéit. Tu le sais bien.

Oui, elle le savait très bien. Et Tyee n'avait jamais volé nourriture, il léchait les assiettes de la veille. Elle était la première à blâmer pour les avoir laisser traîner. Elle reposa sa fourchette, et main sous le menton, elle fixa Jolan qui mangeait paisiblement. Elle était heureuse de sa présence. Seule, elle n'aurait su aller de l'avant même avec le soutien de Guenièvre.

Après le repas, Jolan s'éclipsa, le temps de préparer son argile. Il sculptait afin de gagner sa vie. Elle ne pouvait le forcer à faire autre chose, il adorait ça et il était doué. Cependant, elle devait être réaliste. Elle avait toujours rêvé d'une vie simple mais elle n'avait jamais pensé aux soucis d'argent. Elle se retrouvait endettée et elle détestait cela. Mais elle n'avait guère eut le choix. L'hiver s'annonçait glaciale et une simple tente n'était pas suffisante.

Assise sur le banc de paille, installée devant la télé, éteinte, elle songeait à leur futur. Elle devait s'estimer heureuse, car après tout, elle avait un toit, à manger et un lit bien chaud où dormir chaque nuit.

Mais cela ne lui retirait pas les soucis et les peurs qui lui étreignaient le cœur. Elle se sentait mal rien que de penser à la semaine prochaine, savoir comment gérer son budget et pouvoir offrir un repas décent à l'homme qui vivait avec elle. Elle soutenait son rêve et ses ambitions, car elle même, elle en était dénuée.

- Angéline ?

Jolan venait d'entrer dans la pièce et vit immédiatement la mine soucieuse de sa compagne. Elle n'avait pas réagit à sa voix. Il soupira à son tour et s'installa à ses côtés.

Il lui prit la main et elle sursauta à son contact.

- Qu'est-ce qui te tracasse ?

- Jolan... Je... Je vais sûrement prendre un emploi à mi-temps.

L'homme sourcilla un instant puis la prit contre lui. Il n'était pas dupe, il savait pertinemment qu'il n'y avait pas que cela qui la tracassait. Main contre le crâne de sa compagne, il la força à se caller contre son épaule. Il lui baisa le front avec affection. Cela fit légèrement sourire la jeune femme qui détourna le regard un bref moment.

- Et si tu me disais la vérité ?

- Sur quoi ? Tenta-t-elle de feindre.

- Angéline... Tu es tellement honnête que j'arrive à voir à travers tes faux sourires. C'est ta sœur, c'est ça ?

Angéline acquiesça. Elle ne pouvait rien lui cacher. Elle sourit malgré elle, mais son sourire était brisé. Aurélianne n'arrivait pas à lui pardonner de lui avoir cacher son histoire. Elle avait beau l'appeler régulièrement, sa grande sœur ne répondait pas ou alors lui raccrochait au nez non sans l'avoir insulté. C'était éprouvant pour elle. Elle avait commis beaucoup d'erreur et tenté de se racheter auprès de ses frères et sœurs, mais peu étaient enclins à lui pardonner. Seule Alix gardait contact avec elle, mais la distance entre elle deux étaient insoutenables pour la jeune femme.

- Laisse lui du temps.

- Lui laisser du temps ? A Aurélianne ? Elle rit jaune. Ca se voit que tu ne la connais pas ! Ma sœur est imbue d'elle même et se croit toujours victime et martyre. J'aurais beau ramper à ses pieds, jamais elle ne me pardonnera... Elle est trop fière pour ça.

Angéline avait craché ses mots, les larmes scintillaient dans ses yeux bleus. Jolan lui passa le bras derrière le dos et la caressa afin de la calmer.

- C'est vrai que je ne connais pas ta sœur, ni tes frères et tes autres sœurs. Je ne suis qu'un étranger mais quand je vois Guenièvre, je me dis que ta sœur ne peut pas être une mauvaise personne.

- Guenièvre a le caractère de mon père. Angéline secoua la tête. Aurélianne est une personne fière qui a besoin d'énormément d'attention. Tu ne connais pas mon passé Jolan. Lorsque j'étais enfant, elle était jalouse de l'attention que nos parents portaient à leurs autres enfants et surtout Alix et moins, étant les plus jeunes.

Dire tout cela à voix haute, fit trembler les lèvres d'Angéline. Elle aimait sa famille, qui qu'il soit -même Aurélianne. Et dire ainsi du mal de l'un d'entre eux, cela lui faisait du mal. Elle s'agrippa au cou de Jolan et chercha du réconfort dans sa chaleur et son parfum.

Jolan ne pouvait qu'accepter le corps fébrile d'Angéline contre le sien. Il adorait la savoir près de lui, même si elle était mal. Il était lui même égoïste à penser à son corps et son envie insatiable de s'emparer de ses lèvres alors qu'elle se confiait à lui mais il ne pouvait résister. Il lui souleva le menton et l'embrassa avec douceur. Elle accepta son baiser, l'approfondissant légèrement. Elle connaissait ses envies mais alors qu'il glissait une main sous son t-shirt, la belle sursauta et s'éloigna de lui. Le rouge aux joues, elle fila dans la salle de bain. Le jeune homme soupira tout en se prenant la tête entre les mains. Cela faisait des semaines qu'il était ici, à dormir chaque nuit à ses côtés et ils n'étaient jamais allés plus loin que des baisers. Angéline prenait peur à chaque fois.

Il entendit japper avec bonheur dans la cour. Cela le fit tristement sourire puis il décida de rejoindre ses compagnons à quatre pattes pour un moment de complicité et d'affection sincère. Il avait besoin de sérénité et Sakari en était le parfait exemple. La chienne était douce avec lui et lorsqu'elle le vit, elle s'approcha tranquillement, sa queue balançant à chacun de ses mouvements. Tyee arriva en trombe, quand à lui, manquant de renverser Jolan. Il gratifia les chiens d'une tape sur le flanc puis sortit de sa poche une laisse rouge. Sakari jappa de nouveau, plus enthousiasme que d'ordinaire.

- On va se promener ma douce ?

La chienne balança sa queue avec bien plus de frénésie. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était promenée. Cela fit sourire Jolan qui l'attacha avec douceur.

- Tyee, je compte sur toi pour garder la maison et veiller sur Angéline.

L'autre chien ne sembla pas l'écouter, trop heureux de jouer avec son jouet en plastique, mais Jolan avait toute confiance en lui. Il dépassa son compagnon, légèrement entraîné par Sakari et disparu au coin de la rue.

Angéline avait passé ces dernières minutes à pleurer. Elle était désormais beaucoup plus sensible que lorsqu'elle était immortelle. Elle s'en rendait compte et en était malade ! Cela la rendait folle de se comporter comme une petite fille à pleurer à chaque chose qui la contrarie. Mais que pouvait-elle faire contre cela ? Sa nature humaine reprenait sa place et elle subissait une nouvelle adolescence. Elle s'était longuement fixée dans le reflet de la fenêtre. Le blanc de ses cheveux disparaissait doucement. Elle avait fait passé cette couleur pour une coloration, mais c'était là un des symptômes de son vampirisme. Le vert naturel reprenait sa juste place. Elle était alors mitigée entre la joie et la tristesse.

Mais elle ne voulait plus lutter contre elle-même. Cette couleur n'était pas la sienne. Ce blanc éclatant n'était qu'un vestige du passé qu'elle devait laisser partir. Tourner cette page qui la hantait depuis tant d'année. Oublier ses vacances à Isla Paradisio, oublier son erreur, oublier Lennart...

Elle s'était assoupie tout en ruminant ses pensées. Tyee la rejoignit alors qu'elle dormait. S'apercevant de cela, le chien décida de grimper sur le lit et de s'installer à ses côtés. Il n'avait pas le droit de monter sur le lit. Cela il le savait, mais son maître n'était pas là et l'autre humaine dormait, qui allait le blâmer pour avoir enfreint une règle ?

L'aube levait le voile de la nuit, laissant les rayons de soleil chatouiller les collines et les montagnes qui bordaient la ville de Meadow Glen. L'hiver n'était pas encore là et les arbres luttaient pour conserver leur couverture d'or et d'ambre.

Angéline s'était levée tôt, comme à son habitude. Comme une espèce de défi pour l'astre solaire. Elle procéda à ses ablutions matinales puis fit un bref passage aux toilettes. Elle se gratta le haut du crâne tout en sortant des WC. Encore ensommeillée, elle pensait à la journée qui allait se profiler.

Entre ses toiles, les sculptures de Jolan et sa recherche de travail, elle n'avait pas réellement de temps pour autre chose. En plus de toute cela, elle devait assumer les tâches ménagères et le travail était quadruplés grâce aux canidés de la maison. Elle adoraient les chiens de Jolan mais elle les maudissait pour le surplus de travail qu'ils lui donnaient.

Petit-déjeuner avalé, elle se dirigea dans la salle de bain afin de se brosser les dents et s'habiller. Elle entra directement, la tête encore dans le monde des rêves, ne prêtant attention à l'eau qui coule et dont le son se réverbait dans la pièce. Elle s'installa devant l'évier et chercha avec difficulté sa brosse à dent. Elle renversa le gobelet et pesta contre sa maladresse sans grande conviction.

Elle récupéra chacune des brosses à dent et les dressa dans le gobelet, comme à l'initial. Elle tourna alors le regard vers la glace élimée et sentit le rouge envahir ses joues. Elle croisa alors le regard de Jolan, grand ouvert et étonné de la trouver là. Elle détourna les yeux et se couvrit le visage, contrite par sa propre maladresse.

- Je... Je...

- Mais qu'est-ce que tu fais là ?! S'insurgea le jeune homme tenta de dissimuler sa nudité avec une serviette.

Or, l'empressement lui fit perdre ses moyens et il glissa dans la baignoire, lâchant la serviette. Angéline s'échappa de la pièce, écarlate.

Elle s'était réfugiée dans la cuisine et elle tentait de lutter contre ce qu'elle venait de voir. Ce n'était pas le premier homme qu'elle voyait nu, mais Jolan était différent. Il occupait une place importante dans son cœur. Une main sur le cœur, elle tenta de le calmer. La vue de son corps nu avait émoustillé ses sens et ravivait des envies qu'elle avait pensé avoir enfoui au plus profond d'elle.

Elle n'avait pas fait vœux de chasteté, certes, mais elle ne se sentait pas prête à passer ce cap avec lui. Le souvenir de Lennart la hantait toujours. Sa dernière relation sexuelle remontait à cette époque. Plus de dix années avaient passé. Elle avait oublié ce que c'était : un corps d'un homme et sa virilité.

- Angéline...

Jolan l'avait rejointe, elle osa un regard vers et s'aperçut qu'il était vêtu. Elle se surprit à être déçue par cela. Mais à quoi pensait-elle, enfin ?!

- Je suis désolée Jolan... Dit-elle d'une petite voix et la tête basse. J'aurais dû frapper avant d'entrer.

Mais ce n'était pas ce qu'il recherchait. Des excuses ? Il s'en fichait comme de sa première chemise. Ce qu'il souhaitait le plus au monde, c'était elle et rien d'autre. Mais la situation ne s'y prêtait pas. Il voyait bien qu'elle était bouleversée.

- Ne t'en veux pas.

- Mais je...

- Angéline, il n'y a pas mort d'homme ! Arrête de te faire du soucis inutilement. Oublie ce qu'il vient se passer.

Oublier ? Elle ne le pouvait. Surtout que la réaction de son corps et de son cœur ne le lui permettait pas. Jolan soupira légèrement. Il se gratta le crâne ne sachant quoi faire.

- Oh ! Et si nous sortions aujourd'hui. Elle pencha la tête sur le côté, intriguée par cette soudaine invitation. Tu m'avais promis de me faire visiter la ville et j'ai entendu dire qu'il y avait un festival d'automne.

Le sourire d'Angéline s'illumina. C'était une riche idée. Elle n'avait mis les pieds à ce festival depuis des lustres et y retourner la ramènerait si loin dans l'enfance. Elle lui saisit les mains et le gratifia d'une bise sur la joue avant de disparaitre à son tour dans la salle de bain tout en chantonnant. Main sur sa joue, Jolan la regarda disparaitre, un sourire béat sur les lèvres.

- Yaahhaaaaaaaaaaaaa !!!!!

Un cri strident déchira l'air. Les habitants de Meadow Glen qui foulait la place sursautèrent tandis que certains riaient. L'atmosphère du festival était bon enfant et chacun des participants semblaient heureux d'être là.

Enfin, tous ? Non. Angéline était en proie d'une peur terrible. Elle s'accrochait avec désespoir au bras de Jolan qui riait si fort qu'il devait se tenir les côtes. Ils franchirent le seuil de la sortie et Angéline avait les yeux embués de larme. Cela calma un petit peu Jolan mais son hilarité ne quittait ses lèvres. Outrée, la jeune femme gonfla ses joues et le foudroya du regard.

- Si tu voyais ta tête... Pouffa le jeune homme.

- Arrête de te moquer ! On m'a surprise c'est tout !

- Bien sur... "Surprise", hein ?

Angéline se dégagea de son emprise et le devança, le pas lourd de colère. Sa compagne avait hurler si fort qu'elle avait surprit l'acteur qui jouait le rôle d'un vampire dans la maison hanté, tant que l'homme tomba provoquant une chute de décor.

- Arrête de bouder ! L'interpella Jolan alors qu'elle descendait les marches afin de se rendre sur la place centrale.

- Je ne boude pas !

Mais c'était tout le contraire, et elle même se trouvait bien stupide à agir comme ça, mais elle ne pouvait revenir en arrière. Elle souria devant son propre entêtement puis aperçut un stand peu ordinaire. Une table recouverte d'une nappe surplombée par un panneau où il y était inscrit " Concours de mangeur de tarte !" Ni une, ni deux, elle se précipita et rejoignit les autres participants. Elle s'amusait tellement pendant ce festival, Jolan pouvait rire d'elle autant qu'il le souhaitait, elle s'en fichait. Elle fixa alors les autres participants et s'aperçut qu'ils s'avèraient être tous de sa famille, des cousins. L'autre jeune femme n'était autre qu'Amira, à sa droite Aymen, son plus jeune frère et Carl, son autre frère. Les enfants de Willheim étaient tous adultes ou tout du moins de l'âge d'Angéline. Elle s'aperçut alors qu'elle ne les connaissait pas du tout. Et eux aussi, puisqu'ils ne la reconnaissèrent.

La cloche tinta, signifiant le départ de cette course de dégustation particulière. Angéline s'appliqua, s'étouffant la plupart du temps. Il était difficile de manger dans les mains. Elle s'en rendait compte désormais. Son visage était collant et poisseux et elle manquait de souffle. Ses cheveux retombaient dans la tarte aux myrtilles, et cela la gênait.

Sous les yeux de Jolan, elle remporta la seconde place, derrière son cousin Carl. L'homme lui serra la main et elle lui sourit. Il ne l'avait absolument pas reconnu. Cela lui fit mal mais elle prit avec le sourire les remerciements et les félicitations du vainqueur. Elle n'était pas mauvaise joueuse, même si elle regrettait un peu cette défaite. Elle rejoignit Jolan qui lui tendit un mouchoir afin qu'elle se débarbouille le visage.

- Bien joué.

- J'aurais aimé gagné.

Il lui caressa les cheveux alors qu'elle s'essuyait le visage. Il apprenait à la connaître réellement, et Angéline était différente de ce qu'il s'était imaginé. Il l'avait connu froide, désespérée et intéressée. Aujourd'hui, elle était souriante, ouverte et parfois puérile. Et il adorait ça.

Ils se rendirent rapidement compte que le mouchoir de papier que Jolan avait donné à Angéline empirait les choses plus qu'il ne la nettoyait. Il attendit donc non loin des toilettes publiques le temps que la jeune femme se débarrasse de sa mixture rougeâtre et collante. Il observait la ville et son effervescence. Il n'était pas habitué à ça. Loin de là. Dragon Valley était inhabité, il avait toujours vécu seul avec ses parents et sa sœur.

Il s'apercevait que cette solitude lui manquait un peu. Cette activité constante était épuisante. Il entendit la porte des toilettes se refermer et aperçut Angéline qui le regardait avec tendresse. Elle s'installa à ses côtés mais il se leva tout de suite. Un peu déroutée, elle le fixa sans trop comprendre.

- Ne le prends pas mal. Je ...

Mais une musique douce lui chatouilla les oreilles et une idée lui vint. Sans un mot, il tendit la mains vers la belle qui le scruta avec incrédulité. Il se racla la gorge, et sans la regarder approcha sa main.

- M'accorderais-tu cette danse ?

Cette proposition effara Angéline qui se mit immédiatement debout puis accepta sa main. Elle était enchantée par cette proposition. Elle ne savait pas réellement danser mais elle rêvait pouvoir un jour danser en duo.

- Tu me surprends, Jolan.

- Ah bon ? Et est-ce mal ? Demanda t'il sincèrement.

- Non... Répondit-elle en secouant la tête, un léger sourire sur les lèvres. Au contraire, j'en suis ravie. Je n'ai jamais réellement dansé avec quelqu'un... Et... Et, je dois l'avouer, j'en rêvais.

Le rouge envahit les joues de Jolan, contaminant celles d'Angéline. Ils étaient là, à se balancer de gauche à droite à l'unisson, chacun ne sachant comment faire. Ils devaient avoir l'air bien stupide vu de l'extérieur mais d'une certaine façon le couple s'en fichait royalement. Ils étaient dans leur monde et profitaient de l'autre.

Jolan avança le pied et écrasa celui de sa partenaire. Elle serra la dent et jura à travers elle. Ils se séparèrent, l'une sautillant sur son pied droit, l'autre reculant sur la pointe des deux pieds, honteux de son geste.

- Pardon ... Est-ce que ça va ?

" A ton avis !?" avait-elle envie de rétorquer. Mais elle ravala ses pensées. Il était maladroit et tout comme elle novice dans cette discipline. Elle n'était pas exempte de faire la même chose. Elle força ses lèvres à s'étirer puis remit ses mains sur les épaules de son partenaire. Mais il ne sembla pas enclin à reprendre la danse.

- Je t'assure que ça va. J'ai vu pire ! Tenta t'elle de relativiser.

Mais Jolan resta prostré dans son silence. Elle soupira et laissa ses mains rejoindre les siennes, les laissant glisser le longs des bras de son partenaire. Elle lui souriait avec sincérité. Elle ne pouvait être en colère contre lui pour une si petite chose.

- Et si on rentrait ? Lui proposa t'elle.

Sans quitter sa main, elle le guida jusqu'à l'abri bus. Jolan ne dit un mot mais se laisse entrainer par Angéline.

La nuit s'annonçait mais la pluie la devança. Les deux tourtereaux se précipitèrent dans la maison, courant comme deux enfants, tout en riant. A la sortie du bus, ils furent surpris par la pluie et avaient couru jusque la maison, tout en jouant comme deux enfants.

Humidifiés par la pluie, les deux amoureux se contemplèrent avec hilarité. Angéline ramena ses cheveux sur son épaule, tentant d'oublier le poids que l'eau exercé sur son cou. Jolan la regarda faire, comme envoûté par son geste. Elle surprit son regard alors qu'elle refermait la porte derrière elle.

- Tout va bien ?

Le jeune homme se reprit et lui signifia que oui. Elle s'approcha de lui et lui prit une main. Elle ne l'avait pas lâché depuis leur départ de la place et il en était plutôt heureux.

- Comment as-tu trouvé le festival ?

- C'était intéressant. Lui dit-il. Mais pour tout avouer, ca m'a épuisé.

Les épaules d'Angéline s'affaissèrent en l'entendant. Il s'était donc ennuyé, et elle n'avait rien remarqué.

- Je suis désolée... J'aurais dû te proposer autre chose.

Jolan secoua la tête tout en souriant. Elle se trompait lourdement. Il ne s'était pas un instant ennuyé. Au contraire, il avait pu l'observer à loisir toute la journée et savourer son sourire. Mais jamais il n'oserait le lui dire. Il releva légèrement le menton de la belle et sans crier gare, il captura brièvement ses lèvres. Elle n'eut le temps de fermer les yeux et de goûter à son échange, tant qu'il fut bref.

Le visage de Jolan était rayonnant et le sourire qu'il affichait -bien que béat- captura le cœur d'Angéline. Elle sentit qu'elle était retomber à nouveau amoureuse. Comme si elle avait d'innombrables cœurs. Yeux dans les yeux, ils ne pouvaient se quitter du regard, trop absorbés par l'autre.

Dans un élan de folie, un geste de passion Jolan s'empara des hanches d'Angéline et le fit tournoyer et retomber dans ses bras. Elle lâcha un petit cri de surprise et le geste de Jolan agita les chiens qui courraient dans tous les sens à leurs côtés.

- Jolan ?!

Mais ses protestations étaient vaines. Sans attendre la suite, le jeune homme s'empara de nouveau des lèvres douces et sa compagne. Elle se laissa faire, trop heureuse d'être ainsi aimé. Elle ne pouvait douter des sentiments de Jolan à son égard dans ses moments là. Ses baisers étaient loin d'être factices, et que parfois puissants, ils n'étaient jamais dénués d'amour et de tendresse.

 

Ils se fixaient, les yeux pleins de promesse et d'amour. Angéline ne pouvait quitter son sourire rayonnant. Un simple regard, un simple geste pouvait être bien plus éloquent que ton un discours.

- Oui...

Jolan sourit à son tour et l'embrassa de nouveau la lovant dans ses bras comme si elle était une chose fragile. Ils venaient de statuer leur relation. Elle avait accepté d'être à lui et rien qu'à lui. Elle pouvait désormais aspirer à un futur empli d'amour et de sourire.

 

Episode 12

 

 

 

 

" Lalala Laalaaa laa"

 

C'était une nouvelle matinée et Angéline souriait. Elle souriait devant la simplicité du bonheur qui lui étreignait le coeur avec douceur. Elle n'aurait jamais pû rêver d'une telle chose, quelques semaines auparavant. Sa condition avait changé. Elle avait recouvré sa mortalité natale et vivait désormais pleinement son humanité.

 

 

 

Une humanité nouvelle qu'elle ne vivait seul. A ses côtés se trouvait Jolan, l'homme qui l'avait sauvé de sa déroute sentimental, et ses deux chiens : Sakari et Tyee.

 

La belle venait de se lever et chantonnait avec loisir. Chose qui fit sourire son compagnon alors qu'il entamait sa dernière bouchée. C'était une nouvelle matinée et il aimait voir sa compagne aussi chantante et gaie. Alors qu'elle terminait son étreinte avec la chienne, elle sembla enfin le remarquer. Cela fit sourire Jolan qui quitta son siège et la rejoignit en ouvrant les bras.

 

 

 

Sans un mot, elle se glissa contre lui et l'étreignit avec douceur. Elle était sûre de ses sentiments envers lui. Elle repensait à ce qu'ils avaient traversé ensemble, ce qu'elle lui avait subir et comment il l'appelait. "Monstre". Celui amena un sourire un peu amer sur les lèvres de la belle. Le jeune homme le remarqua et posa une main sur sa joue, curieux.

 

- Je repensais au passé, Jolan.

 

- Et qu'est-ce qu'il te dit, ce passé ?

 

- Que tu étais un sacré muffle !

 

Elle s'éloigna de lui en riant, entamant une petite course tranquille. Cela fit sourire Jolan à son tour qui la poursuivit tranquillement. Cela était vrai. Il ne l'avait jamais accueilli à bras ouverts. Au contraire, il ne souhaitait pas la voir à cette époque. Et il s'était montré odieux pour l'éloigner de son coeur, déjà bien meurtri.

 

 

 

Plus tard dans la journée, une jeune invitée se montra sur leur terrain. Alors qu'Angéline sortait les poubelles, elle trouva sa nièce tout sourire qui trotta jusqu'à elle.

 

- Guenièvre ?

 

- Ouiii ! C'est moi !!! Fit elle en exagérant les dernières syllables.

 

- Mais qu'est-ce que tu fabriques ici ?! Et l'école ?

 

L'adolescente soupira tout en se massant la nuque. L'école était bien le dernier de ses soucis, actuellement. Elle était en proie de doute et de tourments. Et l'unique responsable était sa propre mère. Comme toujours. Et comme toujours, elle venait trouver refuge chez sa tante préférée. Angéline soupira à son tour en voyant le visage souriant de sa nièce passer à la tristesse.

 

- Bon entre, on va discuter.

 

 

 

Elles étaient installées sur le banc en osier, et Angéline entra directement dans le vif du sujet. Guenièvre était une jeune fille sérieuse et agréable. Elle n'avait pas pour habitude de ne pas aller en classe. Cela était étrange et Angéline n'aimait guère cela.

 

- Alors ? Tu me racontes ?

 

Elles avaient beau être de deux générations différentes, elles étaient comme deux meilleures amies. Avec son état vampirique, Angéline n'avait pas vieilli, alors que sa propre jumelle -Alix- venait de passer à l'âge adulte et que son aîné était déjà en primaire.

 

 

 

- Y'a rien à raconter, Angé' ! Tu connais Maman. Toujours prompte à râler pour un rien.

 

C'était vrai. Aurélianne était comme ça : têtue et râleuse. La cadette soupira et fixa avec désarroi sa nièce. Guenièvre avait également hérité de cet entêtement familiale. Cela la fit tristement sourire avant de croiser les bras et exiger de plus amples informations.

 

- D'accord, d'accord... J'ai parlé à Maman de mes pouvoirs.

 

Les bras d'Angéline lui tombèrent. Elle n'aurait jamais cru que Guenièvre ferait une telle chose, vu qu'Aurélianne était hermétique à tout ce qui se rapporte à la magie et l'univers fantastique. La blonde soupira et plaça une mèche de cheveux derrière son oreille.

 

 

 

- Attends... Tu lui as dit et elle ne t'as rien dit ?

 

- Oh si ! Elle m'a traité de menteuse et lorsque je lui ai montré le sort de la pomme, elle s'est évanouie. Heureusement que Milan était là pour la rattraper.

 

Cette scène fit rire avec éclat Angéline. Sa soeur, sa si "magnifique" soeur qui défaille devant le don de sa propre enfant, c'était d'un comique. Mais Guenièvre souffrait de ce dénie d'Aurélianne, alors la jeune femme se reprit en se râclant la gorge.

 

- J'imagine que tu as eu droit à un sermon.

 

- Et non des moindres, j'ai passé une heure debout à l'écouter. Un monologue d'une heure ! Tu te rends compte ?

 

Oui, et elle souffrait rien que d'y penser. Aurélianne n'avait guère changé et ses discours étaient toujours aussi long. Elle était heureuse de ne plus les subir. Jolan arriva à ce moment dans la pièce, détournant le sujet de conversation. Angéline souffla. Guenièvre était venue ici pour trouver refuge, non de l'aide. Elle était mature et indépendante, elle saurait dompter sa mère.

 

 

 

Son téléphone sonna. Elle s'empressa de le sortir de sa poche et lorsqu'elle découvrit son interlocuteur, elle lança un petit regard à Guenièvre. L'adolescente soupira puis reprit sa discussion avec Jolan qui entamait la vaisselle. Angéline secoua la tête et répondit à sa très chère soeur.

 

- Qu'est-ce que tu veux ?

 

- C'est comme ça que tu parles à ta soeur, Angéline ?

 

- Excusez-moi, votre altesse ! Voudriez-vous que je m'incline également ?

 

- Apolline, arrête. Tu es une adulte maintenant.

 

Ah ! C'était elle qui disait ça ? Elle manquait pas de toupet, car la première a avoir lancé les hostilités, c'était elle. La plus jeunne fronça les sourcils et se contenta du silence pour toute réponse.

 

 

 

- Angéline, je ne veux pas de guerre entre nous.

 

- Ah oui ? Et bien, commence par accepter ce que ta propre fille te dit.

 

- Ah... Elle est bien chez toi... j'en étais sûre.

 

Aurélianne soupira puis un long silence s'installa entre elles.

 

- Tu sais Apolline, je n'ai rien contre toi. C'est vrai, je n'aurais pas dû t'accuser de la mort de nos parents. C'était une chose naturelle pour Papa et Maman a bien tenté de vivre pour nous, malgré ton départ.

 

Angéline observa le silence. C'était bien la première fois qu'elle entendait son aînée s'excuser. Elle n'en revenait pas. Guenièvre s'était levée et regardait tour à tour Jolan et Angéline. Elle savait qu'elle ne devait pas rester ici, qu'elle devait rentrer. Mais en même temps, elle n'en avait pas envie. Jolan lui offrit un petit sourire tandis qu'Angéline raccrochait. La jeune femme soupira et fixa sa nièce avec un petit sourire. Elles savaient toutes deux que sa mère n'allait pas tardé à débarquer.

 

 

Chose qui arriva assez rapidement. Jolan s'occupa de ce "transfert" tandis qu'Angéline s'était réufigiée dans leur atelier. Elle n'était pas prête à accepter les excuses de sa soeur, même si elle en crevait d'envie. Elle était devant la fenêtre, en train d'observer la mer qui s'agitait paisibliement. C'était le plein hiver mais aucune neige ne pointait son nez. Elle aurait aimé avoir un manteau blanc recouvrir la ville. C'était un charmant spectacle qui la rassurait. Elle n'entendit pas Jolan revenir et lui parler. Elle était complètement dans ses pensées.

 

 

 

Elle sursauta légèrement lorsqu'il la prit contre lui. Elle jeta un petit coup d'oeil derrière elle et Jolan lui sourit. Elle avait toujours sa famille mais qu'avait-elle fait pour cette dernière ? C'était vrai, elle était responsable de la mort de sa mère. Anaïs était une battante et pourtant, le départ de sa fille l'avait anéanti. Angéline soupira. Angéline, Apolline... Elle ne savait plus vraiment qui elle était, désormais. Ce prénom qu'on lui offrit à sa naissance, elle avait voulu l'enterrer et l'oublier à jamais. Mais aujourd'hui, elle était de nouveau "Elle", non ?

 

- Merci.

 

Un merci pour être là, pour la soutenir, pour la consoler, pour la guider.

 

 

 

Sans un mot, elle se retourna dans ses bras et le fixa de ses grands yeux bleus. Le jeune homme déglutit avec difficulté. Cette expression peinte sur le visage de sa petite amie était magnifique, bien que triste. Elle était une mangifique femme qui lui faisait envie depuis tant de temps, mais il savait qu'elle avait besoin de temps. Elle avait vécu des choses traumatisantes et il ne souhaitait la brusquer.

 

- Jolan... je te dois des explications.

 

- Pour ?

 

Elle se mordit les lèvres et baissa le regard. Elle avait tellement fui devant ses avances, qu'elle l'avait sûrement blessé. Elle dansa un petit moment sur ses pieds, cherchant ses mots, lui attendait avec patience et douceur. Sans un mot, elle posa ses lèvres sur les siennes. Elle en crevait d'envie et lui aussi. Leur baiser s'approfondit avec douceur. Il n'y avait rien d'autre que de la passion et de l'amour dans leur échange.

 

 

 

- Je t'ai fui si longtemps, Jolan. Mais... Je ne sentais pas prête à passer ce cap. La dernière fois c'était avec ... Lennart et...

 

Et elle ne souhaitait qu'une chose : oublier. C'était le départ de son enfer et son paradis était devant elle désormais. Elle fixait Jolan dans les yeux. Elle avait les joues rouges et lui aussi. Il souriait tout en lui caressant les cheveux avec extrême douceur. Il lui baisa le front puis les yeux, les joues et enfin la bouche. Elle se laissa faire, trop heureuse de ses baisers.

 

 

 

Elle se colla à lui, passant les bras dans son cou. Jolan la fixa un instant avant de sourire car la belle détournait le regard et tremblait légèrement. Il lui baissa le front avant de la prendre dans ses bras afin de la câliner.

 

- Angéline, je peux attendre...

 

Elle secoua la tête. Elle était juste intimidité, non effrayée. Elle était écarlate lorsqu'elle posa enfin les yeux sur Jolan. Cela accentua le sourire de l'homme qui la guida jusqu'à leur chambre.

 

 

 

Ils s'étaient embrassés, enlacés, caressés, déshabillés avant de se retrouver sous les draps. Jolan la surplombait, son souffle caressant le visage de sa compagne. Elle était timide dans ses gestes, Angéline, et lui aussi. Il n'était pas vierge mais sa vie d'"ermite" l'avait coupé de tout contact humain et cette danse, il ne la connaissait pas vraiment.

 

- Tu es sûre ?

 

 

 

Pour toute réponse, elle captura ses lèvres et l'invita à l'aimer en passant une main sensuelle dans le dos. Elle put le sentir frémir sous ses doigts et cela attisa son propre désir. Elle l'embrassa et roula au dessus de lui afin de le surplomber à son tour. Jolan poussa une petite exclamation, surpris, mais cela lui donna le sourire. Angéline se montrait sous un autre jour et il adorait ça.

 

 

 

Ils s'aimèrent avec passion, renouvellant leur danse à loisir. Epuisé, le couple s'effondra sur leur lit, les cheveux en bataille et le souffle court, mais heureux. Angéline était toujours allongée sur Jolan, pantelante et somnolante. Son homme reposait sous elle, sa cage thoraxique se soulevait avec rapidité mais cela apaisait la jeune femme. Elle se sentait enfin entière. Son regard se promenait vers l'extérieur tandis que sa main caressait le torse de Jolan. Elle n'avait jamais ressenti cela. Pas même avec ses anciennes conquêtes. Qu'y avait-il de différent cette fois-ci ? L'amour ? Elle rougit devant sa propre conclusion. Elle réagissait réellement comme une adolescente. D'ailleurs, cela les avait surpris, mais Angéline avait saigné, comme lorsqu'elle perdit sa virginité. En retrouvant son humanité, elle avait réparé son hymène. Cela la rendait triste et heureuse à la fois. Elle n'était plus souillée et s'était offerte pure à l'homme qui occupait une place extrêmement importante dans son cœur.

 

 

 

La semaine s'était écoulée sans encombre. Guenièvre bataillait toujours avec sa mère mais elle tenait bon. Angéline avait trouvé un petit emploi dans la librairie du centre-ville et bossait donc les après-midi. Jolan sculptait comme toujours, se forgeant une petite réputation à Meadow Glen.

 

 

 

Un soir, Sakari se mit à geindre. Inquiet, le couple se précipita dans l'entrée, lieu où elle avait l'habitude de se reposer. Angéline approcha une main vers la pauvre chienne qui semblait souffrir, mais l'animal lui grogna dessus, montrant les crocs. L'humaine recula vivement, effarée par cette réaction. Jolan lui tapota sur l'épaule et fixa sa chienne, un peu inquiet également.

 

 

 

- Ne t'en fais pas, Angéline. C'est normal.

 

- Normal ? Elle a failli me mordre !

 

- Elle est en train de mettre bas.

 

Bas ? Accoucher ? Les yeux grands ouverts d'Angéline se posèrent sur l'animal en plein labeur. Elle couinait et gesticulait les pattes vainement. Alors la petite colère qui habitait Angéline se mua en compassion et inquiétude.

 

 

 

Après de longue minute de travail difficile, Sakari mit au monde un jeune chiot plein de vie qui jappait. Attendrie, Angéline se saisit de la petite boule de poil et lui présenta les doigts. Le petit s'empressa de les lui lécher puis la fixa avec candeur. Elle n'avait jamais eu d'animaux de compagnie et cette paire de chien était déjà énormément de travail.

 

- Comment l'appelle t'on ?

 

- Okha.

 

Jolan avait un immense sourire sur les lèvres, alors qu'il était agenouillé et félicitait à la jeune maman. Attendrie, Angéline rendit le petit à sa mère et se mit à la hauteur de son petit ami. Le petit Okha têtait déjà sa mère avec gourmandise. Cela la fit rire.

 

 

 

Cette même nuit, alors que tout le monde dormait, Angéline ne trouvait pas le sommeil. Elle erra un bon moment dans la maison avant de sortir afin d'observer le cile. Les étoiles étaient magifiques, même si l'air hivernal était glacé. Elle n'avait pas ce genre de souci lorsqu'elle n'était plus humaine.

 

 

 

C'était peut être là, l'unique chose de convenante dans cette condition de vampire. Cette insensibilité au froid... Mais le sommeil qui vous fuit, le moindre rayon de soleil qui vous brûle, cette soif insatiable qui vous tiraille. Angéline était heureuse de ressentir à nouveau le froid, la faim et la fatigue. Les autres se plaignaient de tout cela alors qu'elle savourait à pleine dent sa nouvelle vie.

 

 

 

Mais elle avait versé le sang, même si c'était par nécessité. Elle avait des morts sur la conscience. Elle n'avait jamais oté de vie humaine. Jamais ! Elle s'y était toujours refusée. Mais quelques animaux n'eurent guère cette chance et elle s'en voulait. Elle soupira et laissa son bras retomber le long de sa jambe.

 

 

 

La vie continuait, hélas, et elle devait vivre avec ses remords et ses regrets. Elle se toucha le ventre. Si elle ne trouvait pas le sommeil, c'était à cause de cet état nauséeux qui ne la quittait que rarement depuis quelques jours. Elle étouffa un hoquet et se sentit mal rien qu'en y repensant. Elle en avait assez d'être aussi faible. Elle ne comprenait pas d'où pouvait venir son malaise. Elle n'avait rien mangé d'étrange et si c'était alimentaire, Jolan serait également touché... Elle soupira et se leva, elle en avait assez. Elle ne souhaitait qu'une chose : Dormir.

 

 

 

Mais cette nuit là, Morphée se montra cruel avec elle et lui refusa l'accès au pays des songes. Désabusée et bien trop fatiguée, elle resta au lit toute la matinée, le regard figé sur la vue depuis la fenêtre de leur chambre. Elle adorait cette vue, c'était calme et reposant. On toqua à laporte et elle put sentir le lit s'affaisser légèrement sous le poids de Jolan.

 

 

 

- Ca va mieux ?

 

Elle secoua la tpete faiblement. Non, cela n'allait pas mieux et ce n'était pas prêt de s'arranger. Son ventre lui brûlait tout comme sa gorge. Elle avait passé un bon moment au dessus de la cuvette à vomir et il avait assisté à ça. Entre le mal être et la honte, elle ne savait où poser les yeux. Mais Jolan était là, simplement, tentant de la rassurer sans la juger.

 

 

 

Il lui caressa les cheveux avec douceur, comme si elle était faite de porcelaine. Elle lui rendit sa caresse, et lui offrit un léger sourire. Elle était pâle comme la neige et avait d'énorme cernes sous les yeux. Il était inquiet, elle pouvait le lire dans ses yeux.

 

- Tu veux que j'appelle Cyprien ?

 

Une nouvelle fois, elle secoua la tête en signe de négation. Cyprien, son frère, était médecin, mais elle n'avait pas besoin de lui. De plus, ils n'étaient plus en si bon terme. Elle avait faillit ruiner sa carrière, elle ne pouvait pas lui demander de la soigner.

 

 

 

- Ce n'est rien Jolan. Sûrement une simple fatigue.

 

- Mais ça fait des jours que tu es comme ça.

 

Oui, quatre jours qu'elle n'avait rien avalé, sous peine de tout recracher. Elle buvait à peine et la déshydratation lui tendait les bras. Jolan s'occupait d'elle mais elle pouvait sentir la fatigue qu'il ressentait également.

 

- Je vais dormir sur le banc à partir de ce soir. Lui dit-elle.

 

Elle n'arrivait pas accepter de le déranger toutes les nuits, toutes les heures. Il avait besoin de se reposer aussi. Elle ne souhaitait aucunement le voir malade. Il lui prit la main et entrelaça ses doigts avec les siens. Sa poigne était forte et rassurante, bien qu'un peu tremblante, elle planta alors son regard dans le sien et put y lire une certaine tristesse.

 

- Ne dit pas de bêtise.

 

- Mais tu as besoin de dormir...

 

- J'ai besoin de toi à mes côtés, Angéline. Rien de plus... Alors ne dis plus jamais que tu veux t'éloigner. Je ne te le pardonnerais pas.

 Elle ne dit rien, et resta silencieuse, une larme s'échappa de ses yeux. Elle savait pertinemment pourquoi il disait cela. Il repensait à sa soeur et sa nièce, morte toutes les deux à cause de Lennart. Il n'avait plus personne. Il n'avait plus qu'elle...