Episode 1

(Attention certaines images peuvent choquer les plus jeunes.

Ce signe est là pour vous avertir /!\ Il fera office de balise. )

" Si je devais résumer ma vie en un mot, ce mot serait : Impensable...

Nous venions de terminer nos années d'études, décrochant chacune notre diplôme. Alix était une très bonne cuisinière et sa voie était toute tracée. Elle avait même déniché un petit-ami. Quant à moi, hormis mon diplôme en Arts Visuels, je n'avais rien. Ma mère avait beau me dire que j'avais encore toute ma vie devant moi, je n'avais aucun but ni aucune ambition.

Alors sous la menace - ou plutôt l'insistance- d'Alix, nous nous décidâmes à partir en vacances, afin de fêter notre diplôme, qu'elle disait. Mais je n'étais pas dupe..."

Isla Paradisio ~ Eté 2015 ~

C'était une merveilleuse île où le soleil était chaque jour au rendez-vous. Je n'étais pas de celle à dénigrer le soleil et ses bienfaits. J'en abusais même dans ma propre cour, en compagnie de mes sœurs. Mais cette chaleur était différente de Meadow Glen. Isla Paradisio était -comme son nom l'indiquait- une île paradisiaque qui regorgeait d'exotisme et de merveilles qui m'étonnaient à chaque instant.

Mais le but premier d'Alix n'était pas le tourisme. Non, Isla Paradisio était la ville natale de son amoureux : Raynald Ellison.

Raynald était un gentil garçon tout à fait charmant et généreux. Ils se ressemblaient, lui et Alix. le cœur sur la main, où tout-le-monde-il-est-beau, tout-le-monde-il-est-gentil. Je ne reprochais en aucun cas leur amour -trop dégoulinant pour moi- mais je ne me voyais pas tenir la chandelle aux tourtereaux.

Nous logions dans une maison en bord de mer, héritage de la famille de Raynald. J'avais l'impression d'être de trop, alors j'insistai pour me louer une chambre dans le complexe hôtelier jouxtant la demeure. Mais Alix se ratatina sur elle même et m'offrir ses yeux de chiot battu. Alors je ne pus qu'abandonner cette idée. Je vivais donc avec les amoureux transis depuis quelques jours dans cette maison fort agréable et calme. Mais j'avais besoin d'air, être loin de ces deux personnes toujours collés l'un à l'autre comme deux inséparables.

Tenir la chandelle ? Très peu pour moi. J'avais d'autre envie, malgré mes constantes indécisions. J'étais fébrile à chaque décision à prendre. J'avais envie et à la fois non. Ce que cela pouvait être terrible, d'être indécise. Accoudée au bar du complexe hôtelier où nous avions profité des commodités l'après-midi, je ruminais contre moi même et cette injustice qui touchait le monde.

Mais c'était futile et stérile car... Qu'est-ce que le monde avait à faire de moi ? Je n'étais qu'un être parmi tant d'autre. Futile et aussi anonyme que cet homme qui s'occupait d'étancher la soif de la clientèle. Je soupirais tout en m'appuyant plus fortement sur mes mains. J'étais lasse... Fatiguée, certes par mon après-midi à bronzer et à faire la planche dans l'eau de la piscine, mais par mes soucis inutile et infructueux. Si j'étais sérieuse, j'aurais dû réfléchir à mon avenir.

- Qu'est-ce que vous souhaitez ?

Je m'aperçus alors que je n'avais pas quitter des yeux le barman, qui m'observait également, curieux. Je soupirai encore et fixai les bouteilles qui trônaient derrière lui. Elles m'appelaient, je le sentais. C'était inéluctable.

- Un autre, s'il vous plaît. Dis-je alors en tendant mon verre vide.

L'homme haussa un sourcil puis avec un sourire prit mon verre. Sans trop faire attention à son sourire, je replaçai mes cheveux de l'autre côté de mon crâne. Adopter une telle coiffure était, certes élégant et rafraîchissant par cette chaleur, mais loin d'être pratique, car cela ne tenait guère en place.

Je pris place sur l'un des sièges, fatiguée d'être debout. C'était loin d'être mon premier verre d'alcool et mon corps commençait à ressentir les "bienfaits" de ces boissons délicieuses et libératrices. Affairé derrière son comptoir, l'homme sifflotait un air entraînant. Je l'écoutai, sans penser à rien, me laissant bercer par sa voix apaisante. Elle avait un timbre grave, légèrement suave et profonde. Elle m'attirait. J'adorais cela chez un homme : une voix posée et attractive.

- Vous, vous n'êtes pas d'ici. Me dit-il tout en versant la boisson dans son shaker.

- Bravo, Cap'tain Obvious ! Fis-je ironique.

Il ne fallait pas sortir de Saint-Cyr pour le remarquer. J'avais les yeux bleus et la peau pâle. Mais ce n'était pas forcément un indice fiable, puisque Raynald était tout aussi clair de peau que moi. Mais étant dans un complexe hôtelier, il n'y avait bien souvent que des touristes.

- Je sais, je sais ! Ne suis-je pas remarquable ? Je ferais sûrement un bon détective, vous ne trouvez pas ?

Je plaçai mes mains sur le comptoir et tapotait de mon index son revêtement en résine. Voyant que je ne répondrais pas, il reprit son cocktail avec maladresse. Cela me fit arquer un sourcil.

- De toute évidence, vous êtes bien plus doué avec votre langue qu'un shaker. Lui fis-je remarquer, avec sarcasme.

Cela le fit rire avec amusement. Il était plaisant ce rire. Et son sourire avait quelque de sauvage... Cela fit battre mon cœur. Il me lança un regard en coin puis déposa son fardeau, le visage mimant l'excuse.

- Il faut croire.

- Je suis désolée, je vous ai pris pour un employé de l'hôtel. Dis-je avec sincérité.

Cela accentua son sourire, qui se fit légèrement plus doux. Je l'invita alors à s'asseoir à mes côtés. Je n'allais tout bonnement pas exploiter une personne en vacance.

Avec élégance et aisance, il prit place sur le siège à ma gauche, m'obligeant à me tourner vers lui. Je remerciais le dossier car je tanguai légèrement. Il remarqua sûrement mon manque d'équilibre car il m'aida à me stabiliser. Gênée, je lui souris sous mes joues rouges. L'alcool, la gêne ? Je ne saurai le dire, en tout cas, mon état semblait l'amuser.

- Tout va bien ?

- Oui, la fatigue et la chaleur, sûrement. Mentais-je.

- Je vois, rit-il doucement.

Je savais pertinemment qu'il ne me croyait pas et que même, il se moquait de moi. Mais je ne voyais aucune malice dans ses yeux. De l'amusement à l'état pur vivait dans ses pupilles envoûtantes.

- Ainsi, vous n'êtes pas d'ici.

- Comme vous l'avez si ingénieusement deviné, oui. Je suis ici en vacance.

- Toute seule ?

Je me tus et resta un petit moment à fixer le verre qu'il m'avait rempli. Son mélange avait une étrange couleur mais une odeur fruitée s'en dégageait. Cela en était presque alléchant. Je trempai mes lèvres dans le breuvage, qui s'avéra excellent malgré son aspect et la préparation bancale qu'il opéra.

- Toute seule, accompagnée... Quelle importance ? Demandai-je, un peu agacée.

- Ne le prenez pas ainsi.

- Pardon... Mais vous savez, j'ai beau sourire et boire, je ne profite pas réellement de mes vacances.

Je ne savais pourquoi, mais je déliai ma langue. L'homme me prêta une oreille attentive, répondant par de simple "Hum" ou "Je vois". Son ton calme et serein m'encourageait à continuer. Le barman n'était toujours pas là, alors nous nous servions nous même en boisson. Une bouteille de bourbon disparu rapidement dans nos gosiers.

- Voilà... Vous savez à peu près tout de ma vie. Palpitant, n'est-ce pas ?

Cela le fit sourire.

- Avoir une grande famille est une aventure en soi, vous savez.

- Je ne pense pas, ajoutais-je septique. Car dans le lot, il y a toujours des oubliés. Des enfants mis de côté, au profit de certains.

Je pensais alors à Aurélianne. Elle avait toujours eu un fort caractère et bien que notre mère s'occupa de nous, lors de notre plus jeune âge, Aurélianne avait su captiver l'attention et l'amour de nos parents. Moi je fus plus maladroite, en tentant de la copier. C'était stupide et puéril. Mais je n'étais qu'une adolescente, et malgré mes grands airs, je n'étais pas si mature que cela.

Voyant le soleil décliner et ma tête devenir peu à peu de plus en plus lourde, je vida d'une traite mon énième verre. Puis d'un pas mal assuré, descendit de mon perchoir, tanguant légèrement.

- Ce fut agréable de discuter avec vous, Lennart, mais l'heure tourne et je dois rentrer, ou ma sœur va s'inquiéter.

L'homme me fixa, sans expression, puis sourit de toutes dents. Cela me fit doucement sursauter, car ses canines étaient légèrement proéminentes.

- Je crois que votre sœur profite encore des attractions de l'hôtel.

Je regardai alors derrière moi, jetant un œil par dessus-mon épaule. Alix et Raynald était dans le jacuzzi, à se câliner. Je n'existais pas, mais alors absolument pas dans leur monde. Cela alourdit mon cœur mais je tentai de faire bonne figure. Alors que je tournai de nouveau vers lui, mes jambes me trahirent et je perdis mon équilibre.

Sans hésiter, Lennart me rattrapa par la taille, calant mon corps contre le sien. Mes paumes sur son torse, j'ai pu sentir les muscles saillants sous le tissu de sa chemise. Cela me fit rougir puis, gentiment, je m'éloignai de lui. Ma tête était douloureuse et ma vision troublée. Je tentai un petit sourire contrit.

- Tout va bien, Apolline ?

- Oui... Je vais bien.

Non, je n'allais pas bien. Parler relevait d'un effort surhumain. Il sentit mon mal être car il continua de me soutenir alors que je me massais le front.

- Vous avez sûrement abusé de la bouteille.

- Possible, mais ce n'est pas grave. Je suis sur une magnifique île, en merveilleuse compagnie. Pourquoi me priver d'autres plaisirs ?

Mon sourire était légèrement forcé et Lennart s'en aperçut mais à la vu de son regard, j'ai tout de suite compris qu'il avait saisi mon message. Nous nous éloignions alors, bras dessus, bras dessous. Moi, affectueusement collée à lui, lui me soutenant avec force et tendresse.

Ce fut à cet instant que tout dérapa. Je ne me souvins de rien, encore aujourd'hui, il m'est difficile de recoller les morceaux de cette nuit de folie. Nous avions prévus de rentrer à pied, profitant de la fraîcheur de la nuit naissante pour dégriser, mais nous profitâmes de la supérette du coin pour acheter quelques bières. Assis sur le perron, nous avons vidés quelques cannettes, m'achevant définitivement.

Le seul souvenir que j'ai de cet instant fut qu'il m'aida à monter dans ma chambre, alors que je me cramponnais à lui, riant comme une idiote à mes propres blagues totalement vaseuses.

Le petit matin arriva rapidement et avec lui le bruit de vie que d'autres habitants pouvaient faire. Comme à son habitude, Alix cuisinait le petit-déjeuner, tandis que Raynald écoutait la radio afin de se tenir au courant des dernière évènements. Pour moi, ils avaient des habitudes de vieux couple, mais lorsque je les voyais ensemble, ils étaient heureux. Alix chantonnait, m'arrachant de ma torpeur. Douloureusement, je roulais sur dos en gémissant.

Je buvais rarement et surtout jamais je n'étais victime de perte de mémoire. Je tentais de me relever mais le moindre mouvement me rendait nauséeuse. Alix décida de monter, voyant que je ne répondait pas à ses appels et me découvrit sur le lit.

Je pouvais l'entendre soupirer. Je l'imaginais sans peine, les mains sur les hanches, dans sa petite robe aux motifs floraux, et ses cheveux blonds tressés. Elle était bien plus coquette que moi. L'amour avait éveillé en elle une part de féminité que je n'avais pas.

- Tu es réveillée ?

Pour seule réponse, elle n'obtint qu'un "hum" agacé. Elle soupira encore.

- J'imagine que tu ne mangeras pas avec nous.

Je tentai de faire signe que non de la tête et cela m'arracha un autre gémissement. Elle sortit, je le compris en entendant ses pas s'éloigner et la porte se refermer gentiment. Alix était un amour. Elle ne me reprocherait jamais mon état et mon irresponsabilité. Je sentais mon esprit partir loin, replongeant dans le sommeil. Je ne luttai pas... De toute façon, je n'en avais pas la force.

Le soleil frappait fort contre les vitres de sa chambres mais Apolline n'avait pas la force, ni le courage de se lever pour fermer les stores. Cela lui demandait trop d'effort et son corps était comme ankylosé depuis la veille. Les oiseaux pépiaient trop fort, ajoutant une raison de plus à sa peine. Oreiller sur le visage, elle râlait contre la nature.

Elle avait passé la journée complète au lit, et se sentait capable de faire de même aujourd'hui. Alix avait veillé sur elle, inquiète de trouver sa jumelle aussi mal et aussi blanche qu'un linge. Apolline avait alors tenté de la rassurer, lui assurant que ce n'était qu'une gueule-de-bois.

- Pourquoi as-tu bu autant ? Ca ne te ressemble pas. Lui avait-elle dit, déçue et curieuse.

Tout ce qu'Apolline trouva à répondre fut de hausser les épaules. Elle n'allait pas lui dire qu'elle s'ennuyait, qu'elle était jalouse de sa sœur et qu'elle se sentait abandonnée.

Puissant dans ses maigres forces, elle se redressa sur le bord de son lit. La pièce tournait autour d'elle mais elle se sentait plus en forme qu'hier. Elle inspira un bon coup et avança en se tenant au mur jusqu'à la salle de bain.

Les escaliers furent plus difficile à descendre que s'habiller. Elle avait pu le faire assise. Seule dans la maison à ce moment-là, elle ne put demander de l'aide à Alix tout comme à Raynald. Ils étaient tout deux de sortie. Et Apolline les y avait poussé. Elle ne voulait pas se retrouver entre les deux. La prévenance d'Alix était une chose -elle y était habituée- mais subir celle de Raynald en prime était au dessus de ses forces.

L'air n'était pas aussi frais qu'elle l'avait escompté mais c'était toujours plus agréable que l'atmosphère de sa chambre. Elle respira un grand coup, après s'être difficilement hissé sur la chaise d'observation. Elle était bien, accoudée contre la rambarde. La vue était superbe et c'était calme. La maison familiale de Raynald était implantée dans une superbe crique où peu d'âme vivait. Les voisins habitaient de l'autre côté de la rive, ou derrière la colline.

C'était un lieu parfait pour une petite retraite loin de l'agitation de la ville. Elle pouvait comprendre l'intérêt que les parents de Raynald purent porter à ce lieu. Mais toute cette eau la déprimait un peu. Elle était une fille de la terre, de la campagne. Certes Meadow Glen avait accès à la mer mais c'était différent. Le fait d'être sur une île la faisait se sentir minuscule. Cette immense quantité d'eau l'effrayait.

Maladroitement, elle tenta de changer de position et perdit l'équilibre. Dans un geste désespéré, elle s'accrocha à la rambarde et échappe de peu à la baignade forcée. Elle souffla, rassurée puis décida de descendre de son perchoir. Elle s'installa à même le sol, sur le ponton de la maison, assez loin du bord. Elle n'était pas en pleine possession de ses forces. Ses mains tremblaient encore, elle pouvait le sentir, le voir.

Le soleil réchauffait sa peau gelée. Elle était frigorifiée malgré la haute température de l'été. Elle se ratatina plus sur elle même, posant son menton sur son genou. Elle n'était pas frileuse d'ordinaire, et elle trouvait cela d'autant plus étrange. Elle expira, encore, dépitée. Elle avait froid en dedans aussi. Ce n'était pas que sa peau qui était peinte de chair de poule mais ses muscles, tout comme ses organes. Elle s'amusa à souffle et sursauta devant la fumée qui s'échappait de ses lèvres.

- Qu'est-ce qu'il se passe... Bon sang !!

Elle hurla, lâchant une larme en même temps. Elle paniquait. Elle ne comprenait pas ce qu'il se produisait. Elle n'était pas malade, mais elle était faible, sans envie, sans force, et surtout sans appétit.

L'après-midi arriva rapidement. Apolline était retournée se coucher, voulant éviter d'être assistée par sa sœur et son petit-ami. Mais Alix n'en demeurait pas inquiète pour autant. Raynald venait d'apporter un bol de soupe à la malade lorsqu'il cherchait sa belle. Son cœur le mena sur le ponton. Alix était là, en maillot de bain, observant l'horizon. Il s'approcha alors d'elle et lui passa une main dans le dos. Le froid de la bière qu'il tenait la fit sursauter. Mais elle trouva le sourire de son partenaire et le lui rendit.

- Elle a mangé ? S'enquit Alix.

- Non.

Elle soupira et croisa les bras tout en baissant le regard. Apolline l'inquiétait et si cela continuait ainsi, elle devrait la mener à l'hôpital.

- Tout va bien aller. Tenta Raynald afin de la rassurer.

Mais Alix n'était pas convaincue. Sa jumelle était une fille robuste, active et peu souvent malade. Elle retint un sanglot, lorsque Raynald se positionna dans son dos, posant le menton dans le creux de son cou. Elle se détendit un peu, coulant dans les bras de son amant.

- J'ai peur, Raynald. Et j'ai l'impression que c'est de ma faute si elle est dans cet état.

L'homme surprit, se contenta de la regarder, avant de lui baiser l'épaule avec douceur. Elle se laissa faire mais il sentit qu'elle ne répondait pas à son geste d'affection.

- Pourquoi serais-tu la cause de son mal être, Alix... C'est stupide.

- Je l'ai forcé à venir ici... Je... Je pensais que cela lui ferait du bien de s'éloigner de notre famille. De voir autre chose que nos champs et lui faire oublier l'université et ses mauvais coups de cœur.

Raynald sourit légèrement à l'évocation des béguins d'Apolline. La jeune fille avait eu une tendance à s'amouracher de divers jeunes hommes tous haut en couleur. L'un était un musicien qui ne savait jouer de sa guitare pour séduire la femelle. Un autre était un geek totalement fasciné par l'informatique et le troisième un jeune rebelle à la limite du hippie bio-terroriste.

- C'est vrai qu'elle sait choisir ses conquêtes, ta soeur. Se moqua t'il gentimment.

Alix lui offrit une pichenette sur le bout du nez. Jouant le jeu, il piailla comme un enfant alors que sa belle riait avec douceur. Elle savait qu'elle pouvait compter sur Raynald pour lui remonter le moral. Il était affectueux, charmeur et généreux, parfois railleur mais jamais méchant. Elle l'adorait. D'un regard complice, ils s'échangèrent un baiser tendre et amoureux avant de reprendre leur contemplation de l'horizon.

- Je t'aime Raynald.

- Je t'aime aussi. Et sache que jamais je n'irais mettre le feu à un bâtiment public pour prouver mes valeurs et mes opinions.

A l'évocation de cette annedocte concernant le dernier petit-ami d'Apolline, Alix ne put s'empêcher de rire à gorge déployée, faisant réverber son rire dans toute la crique. Elle s'engouffra plus encore dans l'étreinte réconfortante de son petit-ami et songea aux jours heureux qui les attendaient, ensemble.

La semaine défila rapidement. Alix s'amusait tous les jours avec Raynald, lorsque celui-ci ne travaillait pas. Il avait dégotté un petit job d'été, afin de faire une petite rentrée d'argent. Lorsqu'il n'était pas là, Alix s'occupait d'Apolline ou la plupart du temps, elle lézardait dans l'eau.

Ce soir-là, les tourteraux s'ébrouaient dans l'eau tiède de la mer comme des enfants riant et se courant après. La candeur de leur jeu fit soupirer Apolline qui était allongée sur sa serviette de bain. Le sable était encore chaud et cela lui faisait du bien. Elle avait bien récupéré mais elle se sentait toujours faible et étrange. La journée était difficile à vivre pour elle.

La nuit, les choses étaient plus agréables, plus tranquille. Mais elle avait cette colère. Une colère inconnue et incontrolable qui l'animait. Molle de jour et furieuse de nuit. Tant que ses amis la surnommaient "Demi-Face". Et ce surnom l'énervait encore plus. Elle était lunatique, et alors ? Elle n'y pouvait rien. C'était son corps qui agissait.

Elle n'était pas comme ces idiots qui se mamouraient toute la sainte-journée. Elle était perdue, désemparée, plus elle même. Elle se sentait changer à chaque minute qui défilait sur le cadran. Elle hurla tout en lançant son énième caillou. Elle avait trouvé refuge sur la plage, loin de sa soeur et son amour crétin et puéril. La mémoire lui faisait toujours défaut. Cette nuit manquante la rongeait. C'était comme si on lui avait arraché une partie de son cœur.

Elle s'arrêta de lancer des cailloux. Il n'y en avait plus. Et cela lui fit monter les larmes aux yeux. Il n'y aurait jamais assez de caillou sur cette terre pour l'aider à faire taire sa rage. Ce manque qu'elle tentait de combler était impossible à colmater. Cette plaie béante à son coeur ... à son âme. On lui avait dérobé quelque chose mais elle ignorait quoi.

- Pourquoi !? Hurla t'elle à la lune. Pourquoi moi ? Qu'ais-je fait pour mériter ça !?

Elle frappa le sable de ses poings. Enragée, furieuse, à bout... Elle ne savait quoi faire. Sa tête lui faisait mal, tout son corps était en feu.

Elle hurla de plus belle, attirant les hurlements plaintifs des chiens environnants. Elle se sentait stupide à crier ainsi, mais elle n'avait pas d'autre moyen de s'exprimer. Elle tenta de se relever lorsqu'une force douleur au crâne l'accable au sol. Ses larmes, ses cris ... Tous s'étouffèrent et elle s'effondra sur la plage.

/!\

- Pas mal... Tu feras parfaitement l'affaire, ce soir. Mon instinct ne m'a pas trahis, encore une fois.

Un regard brun, une chevelure noire et soyeuse. Cet homme la fixait avec envie.

- Tourne toi, maintenant.

Sa voix était autoritaire, presque despotique, mais son corps obéit, malgré elle. Elle n'avait aucun contrôle sur lui. Cela en effrayant, mais irrisistible à la fois.

 D'un simple geste de sa main, elle s'avança vers lui. Elle pouvait sentir une brise légère lui caresser la peau. En sous-vêtement, elle se glissa dans ses bras. Puissant, dominant, musclés. Elle frissonna dans son étreinte.

- Aurais-tu peur, douce créature ?

Sa voix était afable et suave. Elle baissa les yeux vers le sol, créant une légère hilarité chez l'homme.

- Ce que vous pouvez être faible, vous les femmes !

Son hilarité redoubla. Elle pouvait sentir leur corps trésauter ensemble. Son esprit était absent, elle ne pouvait que voir. Ses lèvres, ses mains, ses bras, ses jambes... Tout refusait de lui obéit.

Absente, sans aucune volonté, telle une marionnette, elle le laissa lui capturer les lèvres. En dépit de son attitude dominatrice, Lennard était doux. Son baiser, tendre et passionnel. Elle goûtait avec envie la saveur de cet homme. Mais elle n'arrivait à garder en souvenir ses caresses et la chaleur de son étreinte. Etrangement, ce qu'elle pouvait seulement sentir était le froid.

Sa langue parcourut le coeur de la captive. La malheureuse avait eut le malheur de faire confiance. Prise dans une étoile invisible, et engourdie par l'alcool, elle était désormais la proie d'un prédateur à l'appétit véloce et sans limite. L'humidité de la langue de Lennart lui fit un frisson dans tout le dos.

- Excellente... Ta peau est douce et alléchante. Pour une femme naturelle, tu prends soin de toi.

Elle tenta de répondre mais rien ne s'échappa de ses lèvres, si ce n'était qu'un gémissement de plaisir. Il avait défait son soutien gorge et frôler de son index la partie tendre et sensible de sa poitrine. Elle aurait voulu se débattre, crier fort. Seul un murmure mêlant plainte et plaisir s'enfuit de sa gorge serrée.

- Tu auras beau lutter, ton corps, ton esprit, ta vie... Tout m'appartient désormais.

D'un geste expert, il fit tomber sa culotte puis la renversa sur le sol, sans ménagement. Elle retint un murmure de douleur, chose qui accentua le sourire pervers de Lennart. Il releva les jambes de sa captive qui lutta, bloquant son avancée de son pied.

- Une combattante ? Où est donc passée la pauvre petite Apolline de tout à l'heure ? Dit-il avec sarcasme.

Une lueur sadique traversa ses yeux. Elle écarquilla les siens, paniquant.

- Bien, continue ! J'adore qu'on me résiste. Si tu savais le nombre de femme qui se laisse faire, c'est déprimant. Briser un esprit fort, c'est mon unique raison de vivre, ma douce.

Une larme perla de ses yeux sec. Un sourire tendre ourla les lèvres de l'homme qui essuya la fuyarde d'un revers de son pouce.

- Tu es une femme pleine de surprise, décidemment.

Cela le fit rire un peu. Sa main parcourut le corps nue d'Apolline qui frémit à chacune de ses caresses. Câjoler, aimer, dominer... C'était comme dans ses rêves érotiques. A croire qu'il lisait dans ses pensées. Même si elle était effrayée, la jeune femme trésaillait de plaisir, sous les mains expertes de sa rencontre de ce soir.

- J'exauce les souhaits, belle étrangère. Chaque femme qui passe entre mes mains succombe à mes "services".

Elle gémit alors qu'il descendait la main langoureusement vers son intimité.

- Tu es comme toutes les autres. Discrète et sage à l'extérieur, mais à l'intérieur, une trigresse sommeille, prête à bondir sur sa proie. Montre moi ta passion, Apolline.

Elle put déceler une faille dans son emprise, et elle succomba, comme l'avait prédit Lennart. Elle captura ses lèvres, les frôlant doucement de sa langue humide et avide d'amour. Amusé, charmé, il la laissa jouer avec ses envies et son corps. Il put lire en elle. Son désir de plonger les doigts dans sa chevelure nouée, de détruire son côté parfait. Cela l'amusa et attisa son envie d'elle.

Il avait beau dire, cette femme était différente. Il n'aurait jamais laissé à une proie une once de liberté, mais Apolline l'intriguait, malgré lui.

Ses doigts étaient engourdies. Elle luttait contre le sortilège qui l'emprisonnait dans sa paralysie. Ses lèvres lui étaient enfin revenue, et elle était surprise elle même d'agir ainsi. Elle brûlait d'envie. Elle voulait le posséder, et qu'il la possède également. Elle se sentait honteuse de ressentir cela. Ce n'était pas elle. Elle n'était pas aussi dévergondée, si ouverte sur le sexe.

Une main caressa sa joue, et leur regard se croisèrent. Il n'y avait plus de trace de domination. Juste de l'affection, de la tendresse... de l'amour.

Alors elle lui sourit, et bien que ses mains étaient désormais libres, elle le laissa commander, îvre de plaisir. Chaud désormais, son contact était plus mordant, empreint de souvenir. Apolline pantelait, mémorisant chacune de ses étreintes, chacun de ses gestes. Elle n'avait plus peur, plus de réserve. Son bras se leva vers le plafond et elle passa avec bonheur la main dans la chevelure attirante de son amant. Elle était comme elle l'imaginait : soyeuse.

Hypnotisée par leurs échanges, captivée par la puissance de ses bras, Apolline sursauta lorsqu'elle sentit une vive douleur dans le cou. Pénétrante et déchirante, elle voulu hurler, mais de nouveau, son corps ne lui appartenait plus. Elle se débattait pourtant d'esprit comme de corps.

- Suffit ! Pesta contre son cou Lennart.

Yeux dans les yeux, les pupilles brunes de Lennard s'illuminèrent d'une étrange lueur qui fit hoqueter la demoiselle, clouée au sol. Elle ne pouvait se défaire de cet ensorcellement. Peu à peu, elle sentit ses muscles s'engourdirent. Ses paupièrent devinrent de plus en plus lourde. Les yeux clos, la respiration ralentissant lentement, elle ne pouvait entendre que le bruit de succion qu'effectuait Lennard au creux de son cou. Il n'y avait ni douleur, ni crainte. Il exhalait d'elle une fragance sereine et paisible, qui mit le sourire aux lèvres de son amant.

L'heure avait tourné, tranquillement installé sur un coussin, Lennard soupira d'aise. La peau de son ventre était tendue à souhait, lui procurant un sentiment de bien être et de sécurité. Le sang de cette humaine était unique et délicieux. Il en salivait encore. Il n'avait pas eu un tel festin depuis des années. Être une créature de la nuit l'avait rendu exigeant et tout à la fois concilliant.

Des repas, il n'en faisait guère, et il devait être capable de disparaitre rapidement. Ce n'était guère facile de dissimuler les restes de ses repas. Alors il voguait de ville en ville, prenant d'innombrable identité. Cela l'amusait désormais.

Il était plaisant, pour lui, de jouer différent rôle. Parfois il était gentil, parfois violent. D'autre fois, un dandy, ou encore un voyou. Mais son rôle préféré restait celui qu'il venait d'interpréter cette nuit. L'homme à l'écoute, l'ami que tout le monde recherche. Le bon samaritain... A chacune de ses interprétations, elles tombaient dans ses filets. Que les femmes étaient naïves et maléables ! Cela lui était exquis !

Il se pourlécha les lèvres, tel un chat repu. Sa victime était un délice. Il mettrait des mois avant de tomver à nouveau sur un sang de cette qualité. Il regarda alors le sol, un peu déçu par l'état du tapis. Il s'étira tout en baillant puis se leva, faisant craquer son cou.

- Tout ce gâchis... Mais ma belle, dit-il en s'approchant de son oreille, ce fut un plaisir inestimable que de vivre cette nuit avec toi.

Il regarda Apolline, gisant sur le sol, inerte. Il arqua un sourcil et ourla un coin de ses lèvres, ironique.

- Mais suis-je bête... Tu ne me répondra pas ! Je crois que j'ai été un peu trop gourmand. Fit-il à demi-peiné, en se tapotant les lèvres. Il faudra que je fasse attention à l'avenir. Un tel sang... Une véritable délectation. Il faudrait je pense à en garder en réserve...

Il se recoiffa, passa sa chemise puis d'un claquement de pouce fit disparaitre le sang tâchant le tapis. Il la prit contre lui pour ensuite la revêtir de ses vêtements. D'un geste de la main, il salua le corps inanimé de sa victime, exhalant un soupir satisfait, s'autorisant même un léger rot. Amusé par cette réaction, il pouffa et disparut en un clin d'œil.

/!\

Elle ouvrit les yeux, les larmes coulant toutes seules. Elle haletait, les pupilles écarquillés. Elle comprenait enfin. Les souvenirs qui lui manquaient lui étaient revenus de plein fouet, l'accablant. Elle riait tout en pleurant. Ce qu'elle avait subi était sur suréaliste. Cela ne pouvait être vrai.

- Fumier...

Ce fut tout ce qu'elle put dire. Chancelante, elle se mit sur ses deux jambes, riant comme une démente.

Elle était rentrée, à bout de force, puis s'était changée. La lune était désormais bien haute dans le ciel et les étoiles perlaient sa couleur bleu. L'infini de la mer se mêlait au ciel nocturne. Ce paysage l'aurait fasciné, d'ordinaire, mais pas ce soir. Elle se mouvait, la tête vide de pensée. Elle suivait son instinct. Elle leva cependant les yeux vers la lune puis fut percuter à nouveau par une douleur atroce.

Or la douleur ne provenait pas de son crâne mais de son coeur. Elle ne put crier, juste simplement gémir. Cela l'empêchait de respirer. Elle avait l'impression qu'on lui arrachait le coeur, puis les poumons... Elle se sentit s'élever, la panique la gagna. Perturbée, elle regarda tout autour d'elle, tentant de comprendre la situation.

Elle entra en résonnance avec l'aste lunaire. Elle sentait comme une connexion entre elles. Puis d'un seul coup, tout se brisa. Ses pieds touchèrent à nouveau le sol, la douleur s'effaca précipitemment. Essouflée, hors d'elle, elle haletait. Elle tentait de remettre ses idées en place puis porta une main vers son coeur. Il ne battait plus -ou que très faiblement. C'était une pulsation imperceptible. Mais elle pouvait ressentir le moindre mouvement de sa cage thoracique.

Elle ouvrit les yeux et vit parfaitement le contour des arbres à l'autre bout de la crique. La lune se reflétait dans ses yeux bleus. Magnifique lueur, brilliant de malice et assoiffée. Apolline sourit, heureuse pour la première fois depuis une semaine.

Elle glissa son petit doigt entre ses lèvres, et accentua son sourire, dévoila ses dents. Elle passa ses lèvres dessus et découvrit deux protubérances aiguisées qui lui coupèrent légèrement la langue. Elle gouta avec délectation le sang qui s'en écoula. Mais une unique goûte n'était pas suffisante. Loin de là...

La lune descendait lentement dans le ciel, voulant céder sa place au soleil. Mais Apolline s'en fichait. Elle avait soif, très soif. Et elle n'avait qu'une idée en tête : étancher sa soif. Elle ferma les yeux, huma l'air et étira ses lèvres dans un sourire carnassier.

- Que la chasse commence...