Episode 10

- Tu plaisantes…

- Non. Avec Mathis, on part bientôt.

- Mais et moi alors ?

- Toi, toi… Toujours toi ! Aveline ! T’es pas la seule sur terre !

Il y avait de l’orage dans la maison familiale des Vauganne. Les hostilités étaient ouvertes depuis longtemps, mais la bataille finale s’engageait enfin.

Elle baissa le regard. Aldrick avait raison. Il avait droit à son bonheur. Elle se montrait égoïste à vouloir le retenir. Mais c’était plus fort qu’elle. Elle ne voulait pas rester seule.

- Tu as pensé à Papa ? Tenta-t-elle en se tenant la tête.

- Papa m’a aidé, il est le premier à être d’accord avec ce projet.

Même leur père était avec eux. Elle n’avait donc aucun allié. Elle allait rester seule dans cette maison, à jamais…

- D’accord… Je te souhaite tout le bonheur du monde, Aldrick.

- Tu te fous de moi ?

- Je suis sincère. Je ne vais pas te cacher que ça me fait mal… Mais après tout, Adé est bien partie… Pourquoi te garderais-je en cage.

- Merci… Merci Aveline de bien vouloir comprendre. Dit sincèrement Aldrick, touché par la sollicitude de son aînée.

Elle feignit un sourire puis s’esquiva dans la chambre de sa fille. Aldrick n’était pas dupe. Aveline lui en voudrait énormément, mais avec le temps, elle comprendra son besoin de partir. C’était mieux ainsi. Et de toute façon, son père était toujours là…

Mais Aveline s’était réfugiée auprès d’Ambrine. Elle pleurait toutes les larmes de son corps contre le corps frêle de sa fille. La petite gigotait, elle ne voulait pas être tant serrée. Elle voulait qu’on la laisse tranquille. Mais sa mère avait besoin de réconfort car elle allait devoir se montrer forte.

En fin de soirée, alors qu’ils allaient se coucher, Aldrick se vit rattraper par le temps et dû passer à l’âge adulte.

Il venait de fêter son anniversaire, dans l’ombre, mais il se sentait toujours jeune et fringuant.

- Alors ? T’en dis quoi Mat’ ?

- J’en dis le plus grand bien. Mais… Entama-t-il en l’observant de plus près. Tu n’aurais pas pris du poids ?

- Non ?! S’exclama son mari en regardant son ventre. T’es sur ?! Arrête ! Tu me fais marcher… Non ! Où ça ? Paniquait-il.

- Mais non… Je rigole ! Tu es parfait !

- Punition ! Hurla Aldrick en se jetant sur son homme.

Il l’embrassa avant que Mathis ne puisse réagir. Il avait certes vieillit, mais il resta le même joueur qu’il était avec Mathis.

Le lendemain matin, leurs valises étaient prêtes et le peu d’affaire qu’ils souhaitaient emportés étaient dans le coffre de la voiture.

- Pas trop triste ? S’enquit Mathis.

- Non ! Au contraire ! Je suis super excité ! Notre chez-nous !

- Ça semble surréaliste…

- Alors les enfants, vous êtes prêts ? Intervint Wyatt en arrivant dans la pièce.

- Au revoir Papa !

- N’oublie pas de revenir nous voir, hein ?

- Promis. Et tu es le bienvenu, tu sais.

- Merci mon fils.

- Merci encore Wyatt. C’est le plus beau cadeau que vous pouviez nous faire. Dit Mathis.

- Ce n’est rien, voyons ! Adélaïde a reçu la même chose. Enfin a quelque vache près. On a acheté la propriété que vous louiez. Mais c’est un détail.

Aldrick pris son père dans ses bras et le serra très fort contre lui. Il lui était très redevable et surtout il l’aimait. Cet homme était un être exceptionnel.

- Tu es sûr que ça va ? S’inquiétait Mathis.

- Mais oui ! C’est pas un départ définitif ! J’ai grandi ici.

- Justement… Moi ça me chamboule de partir…Alors je n’ose pas imaginer pour toi.

Aldrick tint sa langue. Il fit un petit sourire et mis le pied sur la pédale. La voiture se mit en branle et avança tranquillement le long de l’asphalte.

En entendant la porte claquée, Aveline s’était faufilée dans la cuisine et avait observé le départ de son frère à travers la fenêtre. Elle avait versé tant de larme la nuit dernière qu’elle les espérait taries à jamais. Mais elle pleura de nouveau. En entendant son père rentrer, elle s’était précipitée sur le compacteur d’ordure et feignait la réparation.

- C’est donc ici que tu te cachais.

- Je ne me cachais pas.

- C’est ça, et moi je suis la Reine de SimsValley…Franchement… Aveline.

- Je te jure, je ne fais que réparer cette foutue machine qui tombe tout le temps en panne.

Wyatt soupira. Elle ne voulait pas l’inquiéter, mais son dénie et ses mensonges touchaient le cœur du vieil homme.

- D’accord, d’accord… Et tu as bientôt terminé ?

- Oui… je crois que j’ai eu raison de lui.

- Pour cette fois.

- Pour cette fois. Répéta-t-elle avec un triste sourire.

Wyatt prit la voiture et sortit en ville, laissant derrière lui fille et petite-fille afin de rendre visite au reste de sa famille. Adélaïde l’avait appelé pour savoir comment il se portait, avec le départ d’Aldrick. La blonde, même loin de la maison, prenait régulièrement des nouvelles de sa famille. 

Adélaïde l’accueillit avec chaleur et le fit entrer tout en lui racontant quelques ragots croustillants qu’elle avait récoltés au travail. Wyatt ne se lassait jamais de sa famille et de ses discussions incessantes –même si parfois ça tournait au monologue.

Mais sa visite avait un deuxième motif : voir Elouan. Ce dernier venait de fêter son anniversaire.

- Comme tu es grand maintenant !

- Oui ! Comme toi Papy !

- Aha ! Pour ça, il faudra attendre encore un peu, tu ne penses pas ?

Ce petit était une vraie pile électrique, à courir dans tous les sens, à ne jamais cesser de jacasser. Il était également un peu tête en l’air et qui un rien pouvait effrayer. Mais Wyatt adorait son petit-fils.

- Dis Papy… Pourquoi tu me regardes avec tête ?

- C’est parce que tu es à croquer ! Taquina Wyatt en lui pinçant la joue.

L’enfant détestait cela, mais sa mère lui avait bien ordonné de supporter la moindre lubie de son grand-père, sous peine d’être punis et privé de goûter.

- Tu es si craquant ! On dirait ta mère !

- Papa ?!! Appela d’en bas Adélaïde.

Le vieil homme lâcha la joue du garçon qui se massa avec une moue dégoûté. Le vieil homme entreprit de descendre l’escalier. Malgré son page, Wyatt était encore alerte et vif. Alors que son grand-père disparaissait, le petit Elouan se fit une promesse. Quand il serait vieux comme son papy, lui aussi s’amuserait à torturer les enfants en leur pinçant les joues.

Le soir, alors Wyatt s’amusait avec le reste de sa famille, la petite Ambrine venait de grandir. Elle hérita, elle aussi, de la chevelure de Wyatt et du bleu des yeux d’Aimée. Aveline trouva cela si étrange, mais son oncle Neeve ressemblait traits pour trait à leur ancêtre Kahei. La génétique était un mystère insondable, même pour elle, scientifique réputée.

Aveline se réveilla, la tête un peu lourde. Elle avait mal dormi, malgré sa facilité habituelle. Mais elle avait encore sur le cœur le départ de son frère, et surtout de Mathis. Elle avait bien compris que ce départ rapide était le dernier coup de la part de cet homme afin de l’achever. Il lui faisait comprendre qu’il n’y aurait jamais rien entre eux.

Cela faisait bien une semaine que le couple les avait quittés. Certes, Aldrick appelait régulièrement, mais c’était différent. Ils n’avaient plus ces prises de bec quotidiennes, qui, même si elles pouvaient être violentes, étaient une façon de se dire "Je t’aime".

- Amama !

- Bonjour ma puce.  Tu as faim ?

- In !

- D’accord, mais avant ca : le pot !

La petite fit la moue. Elle n’aimait pas particulièrement aller au pot, mais ca mère insistait, dès le levé. 

Alors elle s’exécutait, de bonne ou de mauvaise grâce, cela dépendait des jours et des moments. Mais Ambrine était une enfant qui savait écouter et obéir.

- Tu as fini ?

Pour toute réponse, l’enfant leva les bras en direction de sa mère, qui avec un sourire, mêlé de dégoût, récupéra sa fille, la nettoya puis sortit de la pièce, l’enfant dans les bras.

Puis elle lui donnait son repas. La petite avait rapidement troqué le biberon, préférant largement la bouillie et les compotes.

Mère et fille prenait plaisir à manger ensemble. L’une babillait, l’autre admirait sa progéniture avec fierté. Elle n’aurait jamais pensé pouvoir mettre au monde une telle merveille. Elle était vive, pimpante et souriante.

Tout son contraire. Aveline avait un visage triste, des yeux qui pleuraient sans cesse et un sourire las. Ambrine était un soleil, là où elle, était la lune.

- Ambrine ! Mange correctement ou je te retire ton assiette !

- Naa !

Mais la génétique avait beau être un mystère, elle restait la digne fille de sa mère car elle était têtue, bornée et capricieuse. Mais Aveline adorait sa fille, ces petits défauts la rendaient si mignonne.

Mais ce qu’Aveline préférait, c’était l’entendre chantonner en jouant avec sa peluche. La petite adorait le cadeau de son oncle Aldrick. Avec l’éloignement, il avait pris conscience que la petite lui manquait et qu’il ne verrait surement pas ses premiers pas, ni entendrait ses premiers mots. Mais il avait fait un choix. Il ne pouvait faire marche arrière. Sa fierté ? Oui, il n’y avait que cela qui l’en empêché.

Bien plus tard, la petite lavée et plus chaudement habillée, Wyatt put trouver les deux filles dehors. Aveline aimait avoir sa fille près d’elle, sous ses yeux afin de mieux la surveiller. Le vieil homme n’aurait jamais cru voir Aveline si heureuse et si aimante.

Certes, avec un père pour son enfant à ses côtés, sa vie serait bien plus heureuse et plus facile. Mais il y avait certains bonheurs qui se suffisaient à eux-mêmes.

Wyatt s’installa devant l’enfant et lui fit un bisou sur le front. La petite piailla de plaisir.

- Papa, tu vas prendre froid.

- Si ta fille peut rester dehors, le vieillard que je suis le peut aussi. Cette réponse fit sourire la mère qui reprit son jardinage en chantonnant.

- Alors ma grande, tu es prête à jouer avec Papy ?

- Na !

- Non ? Répéta d’une grosse voix l’ancien chanteur, faussement menaçante.

- Na ! Pypa booou !! Pesta l’enfant.

- La petite mule que voilà ! Tout le portrait de ta grand-mère !

- Les chiens ne font pas les chats. Dit Aveline avec amusement.

- Et heureusement ! Imagines qu’elle ait pris l’humour de Iorhaël !

- Ne parles pas de malheur ! Fit faussement horrifiée Aveline.

Les adultes se mirent à rire devant une bambine totalement désabusée. Mais elle passa rapidement à autre chose, préférant jouer avec sa poupée.

Mais hélas, tous les bons moments avaient une fin. Alors qu’il sortait les poubelles, Wyatt se sentit faiblir. Son corps s’engourdissait à vue d’œil et il lui semblait manquer d’air.

Il comprit rapidement ce qu’il se produisait. Il était temps pour lui de rejoindre son épouse adoré.  Il pouvait faire un bilan de sa vie. Il avait aimé, rit et partagé jusqu’au bout. Ses enfants étaient heureux, même si leur avenir était précaire, il les savait assez fort pour surmonter tous les obstacles. Il regrettait une seule chose : ne pas pouvoir voir grandir ses petits-enfants.

Aveline, trouvant que son père mettait beaucoup trop de temps, sortit à son tour et le découvrit sous sa forme d’ectoplasme. Un hoquet étranglé surgit de sa gorge. Il partait lui aussi…

- Papa… Non… il est trop tôt… Je ne suis pas prête à te perdre toi aussi…

Elle éclata en sanglot. Elle aimait son père plus que tout. Il était son pilier, sa lumière, son gardien et son ami. Perdre Wyatt maintenant allait détruire sa vie à tout jamais. Elle en était persuadée.

La dame en noire fit son apparition, plus sombre encore que les précédentes fois. La nuit l’y aidant énormément, elle mit entre le père et la fille et observa le défunt à travers le néant qui lui servait de visage.

- Wyatt Vauganne ?

- Oui ?

- Et bien ! T’en a mis du temps ! Si tu savais ô combien de fois par jour ta bonne femme me détruit les tympans à me hurlant de venir te chercher.

- C’est tout elle. Dit Wyatt avec nostalgie.

- Tu sais qu’elle me fatigue sévèrement ta mégère ?

- Elle est si tenace que ça ? S’étonna Wyatt en suivant la mort.

- Tenace ? Pire que ça ! Elle ferait une bonne faucheuse cependant.

- Vous recrutez ? Demanda surpris le fantôme.

- Pas tant que ça… Ça ne court pas les rues, les morts… Enfin quand y’a des morts en masse, comme des accidents miniers, ou encore des tremblements de terre, ben on embauche par intérim. Mais si tu veux mon avis… Le pire c’est pendant une guerre !

- J’imagine…

- Non tu ne peux pas ! Mortel ! Même nous qui sommes immortelles, on a envie de mourir pour ne plus à faire autant d’aller-retour…

Wyatt serra alors la main de la Mort puis disparut dans un épais nuage verdâtre. La dame en noire remarqua enfin Aveline qui ne cessait de pleurer.

- Rentre chez toi Fillette ! Ou je te fauche également !

Mais Aveline n’entendit rien. Elle préféra pleurer longtemps maintenant afin de paraitre forte devant sa fille.

La femme rentra enfin à l’intérieur et trouva sa fille totalement ensommeillée. Elle sourit malgré elle et la changea pour la nuit. La petite se laissa porter jusque son berceau, tout en baillant. Au moins, on lui avait épargné la vue de la mort de son grand-père.

- Bonne nuit ma chérie.

- Papy !

Aveline eut un mouvement de recul. La petite venait elle de dire quelque chose ?

- Papy !! Papy ! S’excita la petite.

- Oh ma chérie… Papy… Papy ne reviendra plus.

- Aplu ?

- Papy est parti faire un très long voyage pour retrouver ta Mamie…

Aveline lutta comme elle put, mais le regard perdu de sa fille lui attira les larmes. Elle s’était promis d’être forte, de ne pas

Mais comment pouvait-elle résister contre sa peine ? Après tout, elle n’était qu’humaine. Et les humains se différenciaient de l’animale grâce à leur développement des sentiments. La joie, la peine… La tristesse… Tout cela faisait partit de l’humanité.

- Papa… tu es parti au mauvais moment. Ambrine… Ambrine a besoin de toi…  Elle ferma les yeux et laisse s’écouler les quelques larmes qui se dissimulaient dans ses yeux. J’ai besoin de toi… Je suis seule maintenant…