Episode 19

Le soleil était déjà son zénith lorsque cela arriva. Je ne sais pas pourquoi maintenant, mais il fallait désamorcer cette bombe que j’avais créée moi-même, il y a bien des années. Et puis, je lui avais promis que je lui dirais la vérité. Rien que la vérité… Il était plus que temps.

J’avais longuement attendu que Wyatt sorte de la salle de bain. Je faisais le pied de grue depuis plus d’un quart d’heure. C’est fou ce que le temps semble long lorsque nous sommes stressés, anxieux…

Alors pour calmer mes nerfs j’observais les portraits de la famille. Ils étaient depuis des années, comme des gardiens. Plein de poussière. Ma main frôla les portraits de Neeve. Lui, plus qu’un autre dégageait cette aura protectrice, même de son vivant.

- Qu’est-ce que tu fais ?

Mince ! Il m’avait surprise à contempler cette photo du mariage d’Audaline. Il n’avait jamais posé de question par rapport à ces photos. Ça m’avait toujours étonné, d’ailleurs, mais bien trop lâche pour lui demander. Je me suis alors installée sur le meuble et je l’ai regardé. Oui, j’ai fixé cet homme qui était mon mari, amant et père de mes trois enfants.

L’âge adulte nous avait vite rattrapés, et la maturité s’était renforcée. Mais lui, il ne semblait nullement touché par le temps et ses ravages, comparé à moi… Etait-ce ainsi que traité la nature ? Nous offrons notre corps pour mettre au monde, et elle nous détruisait plus rapidement que les hommes ?

J’étais restée un long moment à le fixer, sans bouger, sans un mot. Et comme toujours, il me supporta en silence. Cet homme était parfait… Bien trop parfait pour une femme comme moi et pourtant il m’avait juré fidélité et amour éternel. Parfois, je me demandais ce que je serais devenue s’il n’avait pas croisé mon chemin ?

- Léonie ?

Ah ?  Aujourd’hui, ce fut lui qui brisa le silence. Mon mutisme devait le déranger, voire l’inquiéter. J’ai alors soupiré tout en me penchant en avant. Je devais avoir l’air bien sérieuse car il arqua un sourcil. Ce fameux sourcil arqué qu’il empruntait à chaque discussion sérieuse que nous entretenions et qui promettait des éclairs.

- Je crois qu’il est temps, Wyatt.

Je me décidai enfin à lui répondre. Oui, je tenais à garder une part de mystère, alors sans trop attendre, je me suis levai et je sortis de la maison d’un pas décidé. Je n’ai guère pris la peine de voir s’il me suivait. Je savais qu’il le ferait, trop intrigué par mon comportement. Oh ! Je n’étais pas fière d’agir ainsi, mais… Je voyais un peu de mystère pimenter ce moment solennel.

A mi-chemin du cimetière familiale, je pus voir sur son visage blême qu’il commençait à comprendre où je voulais en venir. Oui, il était temps qu’il fasse connaissance avec Neeve. J’avais depuis trop longtemps laissé ce secret me dévorer. Il me tuait comme il tuait ma relation avec mes filles. J’avais surpris Aveline au téléphone avec son oncle, et lorsqu’il lui parla de notre frère, je compris alors mes erreurs et mon entêtement. Je m’étais alors radouci, mais mes craintes étaient toujours ancrées au fond de moi. Et seul Wyatt était capable de les annihiler. J’en étais persuadée.

Je m’arrêtai près de sa tombe, le visage triste, avec un pâle sourire. Wyatt s’agenouilla près de moi et regarda tour à tour la tombe et moi. Il était plein de doute, plein de question. Mais je connaissais mon Wyatt pour savoir qu’il attendrait que je fusse totalement prête pour parler.

Je pris mon souffle. J’avais besoin de me relaxer un peu avant de me lancer. Car, même si la révélation était grande et importante, je lui avais caché ce secret depuis des années. Qui pourrait pardonner un tel silence ?

Une nouvelle respiration puis je fixai la sépulture de mon frère.

- Tu te souviens de ma promesse ?

Silence. Pas étonnant… Il attendait, comme toujours, maître de ses sentiments.

- Je t’avais demandé d’attendre. C’était il y a si longtemps, maintenant. Nos enfants sont nés et ont bien grandis depuis… Je suis désolée…

Et voilà… Tout ce que je ne désirai pas. Ma gorge se serrait et les sanglots étaient naissants. Mais il fallait que je continue. Que je brave cette fuite incessante qui me bouffait la vie depuis toujours.

Il dû sentir ma détresse, car sa main chaleureuse me releva le menton. Mes yeux se noyèrent dans les siens et se brouillèrent légèrement. J’arrivai enfin à pleurer. Je ne pouvais plus reculer. J’étais dans la barque et le passeur avait pris mon sous. A part me jeter à l’eau pour me noyer, je n’avais nulle échappatoire.

- Et si tu me racontais tout depuis le début ?

Sa voix n’était empreinte de rancœur, mais au contraire, pleine de douceur – de cette douceur qui lui correspondait si bien- et de bienveillance. Mes larmes tenaces s’écoulèrent encore plus. Cela le fit tristement sourire et il en essuya certaine de sa main libre.

- Le début ? Répétais-je.

Si cela était si simple… Ô Comme j’aimerais pouvoir retourner en arrière et n’avoir jamais dit ses mots.

- Oui, le début. Cette tombe… Elle est importante non ?

- C’est celle de mon frère.

Ma voix était ténue, quasi-inexistante. Un murmure brisé, comme la vie de mon frère désormais. Mes lèvres tremblantes étaient un signe de ma détresse, qui fit que Wyatt m’enlaça.

Cette étreinte était si rassurante, si chaleureuse. Elle était différente lors de nos ébats, elle était encourageante. Je me sentais petite fille au creux de ses bras si forts. Même son odeur me rassurait. Il me baisa le crâne et m’écouta longuement m’épancher.

- Neeve était l’aîné de la fratrie. Mon frère nous a quittés alors que j’étais à peine adolescente. J’ai arraché ses derniers instants à ma mère pour une simple leçon de conduite. Je suis une mauvaise fille qui a brisé une famille. Une mère et un père… Ma famille toute entière !

 

Mes sanglots étaient torrentiels, comme les larmes qui s’échappaient de mes yeux. Inépuisable et sans saveur. Elles étaient là, comme pour laver mon cœur et mon visage de toute ma peine. De toute cette peine accumulée depuis tant d’années. Depuis combien de temps déjà ? Je ne savais pas… J’ai depuis bien longtemps arrêté de compter.

Tout était dit. Il ne me restait plus rien, si ce n’était un avenir et une famille construire sur des années de misère et de silence. Mais l’abcès était crevé. J’étais libéré et vivante…

Un soir, peu après cette grande révélation, Wyatt était pensif. Il rentrait du travail, la tête lourde et chargé de peine. Sa femme avait vécu bien des choses qu’il ne soupçonnait guère et lui avait était stupidement jaloux toutes ces nuits durant à chaque fois qu’elle prononçait le prénom de Neeve. Il se sentait bien stupide désormais. Avoir été jaloux du frère de Léonie… Maintenant, il pouvait en rire.

Il descendit de sa voiture et la verrouilla. Alors qu’il s’approchait de l’entrée, il aperçut Aveline dans le jardin, désherbant cette végétation récalcitrante et survivante.

- Bonsoir Papa. Dit-elle d’une voix douce.

- Bonsoir ma puce. Qu’est-ce que tu fais ?

- Je tente de sauver ce plan de tomate.

- Tu crois pouvoir y arriver ? Demanda son père en se mettant à sa hauteur.

Elle lui confirma en hochant de la tête. Aveline était secrète et discrète. D’une certaine façon elle avait pris de chacun de ses parents. Mais son bon sens et sa façon de s’effacer était de lui. Il regrettait qu’elle ne soit pas plus expansive comme sa sœur. Il sourit alors, se saisit de l’arrosoir et l’aida dans sa tâche. Aveline le gratifia d’un sourire et le silence retomba. Mais ce silence était apaisant.

Dans la maison, une toute autre atmosphère régnait. Studieuse, certes, mais querelleuse également. Aldrick n’arrêtait pas de chantonner tout en recopiant son texte. Ce qui énervait profondément son aînée qui ne pouvait s’empêcher de pester à chaque bruit qu’il émettait.

- T’as pas bientôt fini de faire l’Âne ?

- Et toi alors ? Tu fais pas ton  Shrek peut être ? Rétorqua Aldrick.

La blonde tiqua et d’un doigté expert, elle lui envoya un bout de gomme en plein milieu du front. Le garçon hurla et pesta à son tour. Mais Adélaïde avait gagné. Il ne chantait plus mais à mieux y réfléchir, l’entendre crier et se plaindre était pire encore que les meumemant qu’il poussait…

- Mais t’as pas bientôt fini de chouiner oui ?! Pesta Adélaïde. T’es vraiment chi*nt quand tu t’y mets ! Pas moyen de se concentrer !

- Mais c’est ta faute aussi ! Pleurnichait le petit Loup. Tu m’as fait mal…

- C’était le but. Maintenant, tu te tais ou je recommence !

- T’es vraiment méchante ! Hurla Aldrick

Léonie arriva à ce moment-là avec le dîner. Elle trouva son fils en train de pleurer et sa fille regarder vers le ciel. On avait facilement des mots plus hauts que d’autre à ces âges là, mais une tierce personne intervenait toujours avec sagesse.

- Vous avez fini ?! On vous entend jusque chez les voisins ! Dit Léonie d’un ton ferme.

- Mais Maman… Entama Adélaïde.

- Pas de mais ! Je ne veux pas savoir qui a commencé ! Adélaïde, tu es plus grande, tu devrais savoir vivre avec les autres. Aldrick, tu dois comprendre que le bruit peut déranger certaines personnes !

Adélaïde soupira et Aldrick leva les yeux au ciel. La discussion était close. Certes leur mère était devenue plus coulante, mais elle détestait les conflits et elle mettait un point d’honneur à les régler de façon équitable : Elle avait toujours raison, et eux tort.